Cas 2019-021N
Vaud
Historique de la procédure | ||
---|---|---|
2018 | 2018-040N | Le prévenu A. et la prévenue B. sont reconnus coupable de discrimination raciale (Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP). Le prévenu A. forme une opposition à cette condamnation. |
2018 | 2019-021N | Le tribunal de police juge le prévenu A. coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP. |
2019 | 2019-001N | La Cour d’appel confirme la décision de l’autorité de poursuite pénale et juge l’appelant A. coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP. |
2019 | 2019-013N | Le Tribunal fédéral rejette le recours du prévenu A. et confirme sa condamnation au sens de l'Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP. |
Critères de recherche juridiques | |
---|---|
Acte / Eléments constitutifs objectifs | Négation d'un génocide (al. 4 2ème phrase) |
Objet de protection | Religion |
Questions spécifiques sur l'élément constitutif | Elément constitutif subjectif de l'infraction |
Mots-clés | |
---|---|
Auteurs | Particuliers |
Victimes | Juifs |
Moyens utilisés | Ecrits; Communication électronique |
Environnement social | Internet (sans réseaux sociaux) |
Idéologie | Antisémitisme; Révisionnisme |
Le prévenu A., en sa qualité d’auteur dans un journal dont la lecture est librement accessible au public sur un site Internet, a cherché à minimiser la Shoah et a tourné en dérision des propos ou comportements de tiers ainsi que des événements en lien avec l’holocauste. Il y est notamment question de la théorie du « mensonge d’Auschwitz », y traite les victimes et les témoins des chambres à gaz du régime nazi de menteurs, suggère que ces « bobards » reposent sur des intérêts financiers et tourne en ridicule toute personne y accordant foi. Les prévenus A. et B. sont condamné.e.s pour discrimination raciale au sens de l’art. 261bis al. 4 CP. Seul le prévenu A. s'est opposé à sa condamnation jusqu'à sa validation par le Tribunal fédéral.
Les prévenu.e.s A et B ont écrits divers articles dans un journal/blog dont la lecture est librement accessible au public sur un site Internet.
Dans un article intitulé « Parricide », le prévenu A. revenant sur la déclaration de Jean-Marie Le Pen selon laquelle les chambres à gaz n’étaient, à son avis, qu’un détail de la seconde guerre mondiale, le prévenu A. a écrit :
· « Cette fois-ci pourtant, le vieux lion a tort : les chambres à gaz ne sont pas un détail, parce que, si elles ont réellement existé, elles sont la preuve d’une volonté exterminatrice dont la responsabilité incombe aux plus hautes instances du Reich. Et si elles n’ont jamais existé, comme le proclament et prétendent le démontrer le professeur Faurisson et ses disciples, elles ne sont pas un détail, mais un bobard, un mensonge, une légende, une mystification ».
Dans un article intitulé « Mille coups de fouet » relatif au traitement juridico-médiatique réservé aux négationnistes, qui seraient les seuls à ne pas bénéficier de la liberté d’expression dès lors que leurs propos seraient assimilés à de l’incitation à la haine, le prévenu A. a notamment écrit :
· « Les nombreux prisonniers révisionnistes, c’est-à-dire les chercheurs qui mettent en doute la réalité historique des chambres à gaz homicides durant la seconde guerre mondiale, n’ont pas ce privilège. Le résultat de leurs recherches, de leurs travaux, de leurs expertise heurte la religion de l’Holocauste, laquelle est, semble-t-il, en Occident la seule dont il est interdit de douter. (…) La seule religion à laquelle il est interdit de toucher est la religion de l’holocauste : elle a ses saints, ses miracles, ses martyrs, ses prêtres et son Inquisition : Malheur à celui qui ne croit pas ! ».
Dans un article intitulé « Il faudra chercher les motifs », dans lequel il se penche sur l’affaire Perinçek, le prévenu A. a notamment écrit que le jugement de la CourEDH avait suscité des réactions vives, qu’il fallait abroger l’art. 261bis CP comme il était possible que cela soit fait avec la loi française dite « Gayssot » qui réprime la contestation de faits « prétendument définitivement établis par le Tribunal international de Nuremberg », qu’il était un « journaliste révisionniste » et que le révisionniste était, aux yeux des gens, comparable à un pédophile en raison de « la manière très orientée dont est traitée la controverse historique qui divise les historiens » officiels « et les chercheurs ayant eu la curiosité – ou l’inconscience – de porter un regard neuf et critique sur des événements vieux de moins d’un siècle ».
Dans un article intitulé « Un écolier puni à Aubonne », le prévenu A. a notamment écrit : « (…) De même, personne n’a pu démontrer au professeur Faurisson qu’il avait tort sur le fond, mais une législation ad hoc permet de l’incriminer, parce que la publication de ses recherches irrite des personnes, met en péril des intérêts financiers, heurte des sensibilités et, en outre, rend ridicules tous les historiens qui ont gobé sans y réfléchir des bobards dont on sait aujourd’hui l’impossibilité et les faux témoins qui ont affirmé pendant septante ans qu’ils avaient vu, de leurs yeux vu, des licornes vivantes et des pentagones à trois côtés. Robert Faurisson est un méchant homme, parce qu’il explique aux enfants de huit ans que le Père Noël n’existe pas, Tout le monde sait (ou peut savoir quelques clics de souris) qu’il a raison, mais cette révélation est inopportune, peut-être prématurée ; elle est donc assimilée à une forme d’incitation à la haine (du malheureux Père Noël ou du maître de travaux manuels) et donc punissable. Cette mésaventure apprendra au jeune écolier d’Aubonne que toute vérité n’est pas toujours bonne à dire ».
Dans un second article, s'agissant du prisonnier révisionniste allemand, Gerd lttner, qui aurait été contraint à rester en détention après la fin de sa peine, en raison d'une nouvelle affaire, au motif que « l'infame s'était permis, pendant son séjour au sein des geôles portugaises, de contester l'Holocauste dans des lettres personnelles, ce qui est, il faut le reconnaitre, d'une rare imprudence ou d'une incommensurable naïveté au vu de l'attachement des cours de justice européennes aux libertés d'opinion et d'expression ».
Dans un troisième article, relatant l'histoire d'une allemande qui, par ses propos négationnistes, « met en émoi les autorités teutonnes en posant de très mauvaises questions et en disant de très vilaines choses sur le sujet tabou, publiquement en plus ».
Dans un quatrième article, déplorant la condamnation d'Oskar Gröning à quatre ans de prison pour complicité de meurtre de trois cent mille juifs à Auschwitz entre 1942 et 1944, alors qu'il avait exercé la fonction de comptable dans l'administration du camp : « Comme les mascarades judiciaires auxquelles elle se livre sont nécessaires à la pérénnité du sentiment de culpabilité instillé en permanence à la population allemande, la « justice » de la RFA traîne devant ses tribunaux des gens parfaitement innocents, dont le seul tort est de s'être trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. II est vrai que si les accusés se reconnaissent coupable, leurs persécuteurs auraient tort de se gêner ».
Dans un cinquième article, informant les lecteurs de la future présidence de la Suisse en 2017 à l'International Holocaust Remembrance Alliance : « Cette candidature ayant été hélas acceptée, nous présentons à la confédération toutes nos non-félicitations. Quant aux victimes de toutes les activités éducatives et mémorielles qui marqueront l'année · 2017 dans notre pays, nous leur adressons l'expression · de notre vive compassion ». Enfin, parlant d'une décision de la CourEDH: « La Cour européenne des droits de l'homme a confirmé que, en invitant le professeur Faurisson dans un de ses spectacles et en lui faisant remettre le «prix de l'infréquentabilité" par un faux déporté juif, l'humoriste Dieudonné s'était livré a une « démonstration de haine et d'antisémitisme ». Seuls les naïfs qui croient encore que les règles ordinaires de la justice s'appliquent quand il est question de l'Holocauste en auront été surpris ».
Dans un sixième article, déplorant que la justice allemande s'en prenne à des nonagénaires : « Quand on sait, enfin, que la « justice » teutonne s'en prend désormais à des nonagénaires au seul motif que ceux-ci ont occupé des fonctions diverses à Auschwitz ou dans quelque autre camp, on se demande à quelle activité s'adonneront les tribunaux allemands quand tous les monstres sanguinaires - comptables, téléphonistes, surveillants - qui les occupent jour et nuit auront rendu leur âme à leur Créateur ».
Décision 2018-040N
Selon la jurisprudence, la négation du génocide juif réalise objectivement l'état de fait incriminé par l'article 261bis al. 4 2ème phrase. CP, dès lors qu'il s'agit d'un fait historique
généralement reconnu comme établi (ATF 129 IV 95 cons. 3.4.4), notoire, incontestable ou indiscutable (arrêt 6B_398/2007 du 12 décembre 2007 cons. 3.4.3 et références
citées). Mettre en doute l'existence des chambres à gaz revient à contester les crimes commis par le régime nazi, en particulier l'extermination systématique des juifs dans des
chambres à gaz (TF 6B_1100/2014 du 14 octobre 2015 cons. 3.1 ; ATF 126 IV 20 cons. 1e; 121 IV 76 cons. 2b/cc; TF 6S.719/1999 du 22 mars 2000 cons. 2d/aa). Même si
l'auteur le fait sous une forme interrogative - qui appelle d'ailleurs une réponse univoque -, il n'a en réalité pas simplement posé une question, mais a nié que le crime en question
ait pu être perpétré (ATF 126 IV 20 cons. 1 e). Enfin, une partie de la doctrine considère que même les « historiens » niant l'holocauste agissent toujours avec une haine
antisémite ·(Charles PONCET,_ La répression du négationnisme sous /'angle de /'art. 10 CEDH, in : revue de droit de la communication, p. 90).
En l'espèce, à travers ses écrits à forme prétendument interrogative, le prévenu A. met clairement en doute l'existence des chambres a gaz, niant ainsi l'extermination systématique des juifs par l'Allemagne nazie. Quant à la prévenue B., elle tourne en dérision certaines condamnations rendues à l'encontre des négationnistes ou des collaborateurs ayant exercé des fonctions au sein du Troisième Reich. Elle exprime par ses métaphores que les collaborateurs des camps de concentration et d'extermination du régime nazi seraient innocents. Par des tournures ironiques et sarcastiques, le prévenu A. et la prévenue B. nient de toute évidence l'holocauste, génocide juif universellement reconnu comme tel, se rendant coupable du délit réprimé par l'article 261 bis al. 4 CP.
Le prévenu A. et la prévenue B. sont reconnus coupable de discrimination raciale (Art. 261bis al. 4 2èmephrase CP). Le prévenu A. est condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 30.-, avec sursis pendant 4 ans, et à une amende de CHF 450.-. Il forme une opposition à cette condamnation. La prévenue B. est condamnée à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 70.-, avec sursis pendant 4 ans, et à une amende de CHF 700.-.
Décision 2019-021N
Le tribunal de police soulève que la jurisprudence admet que la négation du génocide juif réalise objectivement l’état de fait incriminé par l’art. 261bis al. 4 2ème partie CP, dès lors qu’il s’agit d’un fait historique généralement reconnu comme établi, notoire, incontestable ou indiscutable. Mettre en doute l’existence des chambres à gaz revient à contester les crimes commis par le régime nazi, en particulier l’extermination systématique des juifs dans des chambres à gaz.
Ainsi, pour l’autorité de poursuite pénale, il ne fait pas de doute que le prévenu A., par ses écrits, met en doute l’existence des chambres à gaz et partant du génocide juif. Le prévenu A. ne conteste au demeurant pas fondamentalement être un journaliste et un révisionniste, niant l’existence de l’holocauste. Il dit effectuer un travail de journaliste animé par le souci de la recherche de la vérité. L’art. 261bis al. 4 in fine CP proscrit précisément la publication journalistique niant le génocide juif.
Par ses écrits et ses déclarations, le prévenu A. a démontré qu’il agissait intentionnellement dans le but de remettre en cause l’existence du génocide juif. Pour l’autorité de poursuite pénale compétente, le prévenu A. est assurément animé par une volonté discriminatoire. De plus, le comportement du prévenu A. est d’autant plus répréhensible parce qu’il agit prétendument en qualité de journaliste, dans un soi-disant but de recherche de la vérité et sous couvert de controverses historiques et scientifiques. Le nombre de publications n’est pas négligeable et l’utilisation d’un site internet permet d’atteindre un nombre important de lecteurs.
Le tribunal de police juge le prévenu A. coupable de discrimination raciale (Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP) et le sanctionne d’une peine pécuniaire de 90 jours-amende, le montant du jour-amende étant fixé à CHF 50.00. Elle fixe un sursis de 4 ans et lui inflige une amende de CHF 500.00.
Décision 2019-001N
La Cour d’appel pénale rappelle que sont visés par la deuxième partie de l’alinéa 4 de la disposition, tous les actes susceptibles d’être qualifiés de « génocide » en vertu de l’art. 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide conclue à New-York le 9 décembre 1948 et de l’art. 264 CP.
La Cour d’appel entend que la négation de l’Holocauste réalise objectivement l’état de fait incriminé par l’art. 261bis al. 4, 2ème phrase, CP parce qu’il s’agit d’un fait historique généralement reconnu comme établi. De plus, elle souligne que selon la jurisprudence, mettre en doute l’existence des chambres à gaz revient à contester les crimes commis par le régime nazi, en particulier l’extermination systématique des personnes de confession juive dans les chambres à gaz, comportement susceptible de tomber sous le coup de l’art. 261bis al. 4 CP. Selon la Cour d’appel, par négation, on entend la contestation expresse, mais également la mise en doute des événements par des pseudo-arguments. Les termes tels que « mythes », « contes », « légendes » ou « fable » ne peuvent constituer autre chose qu’une négation au sens de l’art. 261bis al. 4 CP, lorsqu’ils sont utilisés en relation avec un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité incontestés.
La Cour d’appel pénale confirme que le prévenu A. est coupable de discrimination raciale (Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP) et confirme la peine pécuniaire de 90 jours-amende, le montant du jour-amende étant fixé à CHF 50.00. Elle confirme également l’amende de CHF 500.00.
Décision 2019-013N
Selon le Tribunal fédéral, pour retenir l’infraction de l’art. 261bis al. 4 CP, il convient de démontrer, sous l’angle subjectif, non seulement que l’intention de l’auteur a porté sur tous les éléments constitutifs objectifs, mais également que le prévenu était mû par un mobile discriminatoire.
En l’occurrence, si le prévenu soutient qu’il n’a jamais reconnu le caractère illicite de ses écrits, il ne paraît toutefois pas contester avoir réalisé les éléments constitutifs objectifs de l’infraction avec conscience et volonté.
Le Tribunal fédéral relève que la jurisprudence a implicitement admis que l’existence d’un mobile discriminatoire est acquise dans l’affaire dite du « mensonge d’Auschwitz » qui représente aujourd’hui l’expression d’un antisémitisme extrême. Par conséquent, celui qui s’en prend à l’existence des chambres à gaz est donc en principe guidé par un mobile discriminatoire. Selon le Tribunal fédéral, le prévenu A., sous couvert d’une prétendue vérité, a remis en cause la volonté du régime nazi de procéder à une extermination humaine de masse et accuse de falsification de l’Histoire les victimes elles-mêmes. De cette manière, pour le Tribunal fédéral, il a diffamé la communauté juive et incité à la haine à leur égard. Dès lors, la condamnation du prévenu A. constitue une ingérence nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt public.
Le Tribunal fédéral déclare que le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. La condamnation du prévenu A. est confirmée. (Arrêt 6B_350/2019 du 29 mai 2019)