Cas 2021-008N

Rédacteur en chef qui rédige un texte sur les juifs

Jura

Historique de la procédure
2020 2020-076N Le prévenu est coupable de discrimination raciale, Art. 261bis al. 4 CP.
2021 2021-008N Le Tribunal Fédéral conclut que la condamnation du recourant par la cour cantonal ne viole pas l'Art. 261bis al. 4 première partie CP ni le principe de liberté d'expression. Le grief est rejeté.
Critères de recherche juridiques
Acte / Eléments constitutifs objectifs Abaissement ou discrimination (al. 4 1ère phrase)
Objet de protection Ethnie;
Religion
Questions spécifiques sur l'élément constitutif Elément constitutif subjectif de l'infraction
Mots-clés
Auteurs Journalistes / éditeurs
Victimes Juifs
Moyens utilisés Ecrits
Environnement social Media (Internet inclus)
Idéologie Antisémitisme

Synthèse

A. est rédacteur en chef d'un journal satirique. Dans une rubrique intitulée «Le Fou follo» qu'il a publiée dans le numéro 539 de septembre 2017, il a rédigé un texte sur la communauté juive. Le 23 novembre 2017, F. a déposé une dénonciation pénale à raison de ce texte.
Le prévenu est coupable de discrimination raciale, art. 261bis al. 4 CP. Il dépose recours contre ce jugement auprès du Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral rejette le recours.

En fait / faits


Dans une rubrique intitulée «Le Fou follo» qu'il a publiée dans le numéro 539 de septembre 2017, A. a rédigé un texte sur la communauté juive, sous le titre «Triste renversement», le texte suivant:
«Durant toute leur histoire, les Juifs ont été des victimes dignes de compassion. Aujourd'hui, ils sont des bourreaux ne suscitant que le dégoût».


Décision 2020-076N

Le prévenu est coupable de discrimination raciale, Art. 261bis al. 4 CP.

En droit / considérants

L’appelant estime que le texte qu’il a rédigé ne porte pas atteinte à la dignité humaine et ne peut être considéré comme propre à abaisser ou à discriminer les personnes de confession juive.

En l’espèce, le texte litigieux est, dans sa globalité, dirigé contre les «Juifs», lesquels sont qualifiés de «bourreaux ne suscitant que le dégoût». II a manifestement été rendu public. L’appelant, qui se dit «antisioniste» et non «antisémite», tente de justifier ses propos en affirmant qu’il entendait simplement exprimer son indignation face aux actes de violence perpétrés en Israël.

Quoi qu’en dise l’appelant, son texte, ouvertement provocant, n’a pas été publié dans le cadre d'un article consacré au conflit Israélo-palestinien qui aurait permis, le cas échéant, de comprendre le message qu’il voulait prétendument faire passer. II n'a pas non plus été accompagné d’un commentaire explicatif susceptible de lever toute ambiguïté quant à sa teneur. De fait, l’appelant n’a jamais opéré la moindre distinction entre les personnes victimes de violences en raison de leur religion et les auteurs potentiels des actes de violence qu’il affirme avoir voulu dénoncer, dès lors qu’il les désigne invariablement et sans réserve comme étant les «Juifs». Dans ces circonstances, on peut indéniablement considérer que le lecteur moyen non averti comprend que les personnes visées par les critiques de l’appelant sont des personnes dont le seul point commun - et le seul tort selon l’appelant - est d’être de confession juive. L’appelant lui-même semble au demeurant en avoir pris conscience puisqu’il considère désormais que la portée qu’il dit avoir voulu donner à ses propos, était aisément compréhensible pour tout lecteur connaissant la situation qui prévaut actuellement au Proche-Orient.

En se qualifient ultérieurement d’antisioniste, l’appelant cherche vraisemblablement à se ranger de manière officielle aux côtés de ceux qui critique la politique du gouvernement israélien ou ses pratiques d’expansion territoriale. Quoi qu’il en soit, le ressentiment d’une personne par rapport à la politique d’un État ne saurait en aucun cas justifier des déclarations discriminantes contre des personnes en raison de leur appartenance religieuse – en l’occurrence la confession juive. Le Tribunal fédéral a du reste déjà considéré qu’un tel amalgame est inacceptable (TF 6B_1017/2014 du 3 novembre 2015 consid. 2.3 ; 6B_1100/2014 du 14 octobre 2015 consid. 3.8).

Du point de vue subjectif, il doit être admis que l’appelant était tout-à-fait conscient de la portée de son texte. Ses mobiles ne souffrent au demeurant d’aucune ambiguïté dans la mesure où il a expressément affirmé, dans e cadre de son audition par la police, que les «Juifs» ont actuellement un comportement totalement honteux. Il n’a cependant pas hésité à publier le texte en question en vue de partager son point de vue.

Il s’ensuit que l’appelant a agi avec conscience et volonté. Sa condamnation en vertu de l’art. 261bis al. 4 première partie CP doit par conséquent être confirmée.

Décision

Le prévenu est coupable de discrimination raciale, art. 261bis al. 4 CP. Il est condamné à une peine pécuniaire de 85 jours-amende à CHF 100.00 le jour.


Décision 2021-008N

Le Tribunal Fédéral conclut que la condamnation du recourant par la cour cantonal ne viole pas l'Art. 261bis al. 4 première partie CP ni le principe de liberté d'expression. Le grief est rejeté.

En droit / considérants

Critique envers un état
De manière générale, les déclarations dirigées contre un État et sa politique ne relèvent pas du droit pénal, puisque les États ou nations ne sont pas des catégories protégées par l'Art. 261bis CP. Tel n'est en revanche pas le cas si la désignation de l'État d'Israël est utilisée comme synonyme de " judaïsme " ou de " juif " (arrêt 6B_1017/2014 du 3 novembre 2015 consid. 2.1.1; Marcel Alexander Niggli, Rassendiskriminierung, 2e éd. 2007, n° 762 p. 242). Il faut ainsi déterminer au cas par cas, en fonction du contexte concret et de la manière dont le destinataire moyen comprendrait la déclaration si c'est uniquement l'État d'Israël, soit notamment sa politique, qui est visé (arrêt 6B_1017/2014 précité consid. 2.1.1; Marcel Alexander Niggli, op. cit., n° 762 p. 242; cf. ATF 140 IV 67 consid. 2.1.2 p. 69).

Définition de la satire et de ses limites
Selon la jurisprudence de la CourEDH, la protection conférée par l'art. 10 de la Convention s'applique également à la satire, qui est une forme d'expression artistique et de commentaire social qui, de par l'exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter.
C'est pourquoi il faut examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d'un artiste à s'exprimer par ce biais (arrêt de la CourEDH Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche du 25 janvier 2007 [requête n° 68354/01], § 33).
Cependant, la jurisprudence de la CourEDH a également défini les limites de la liberté d'expression. En particulier, la CourEDH a jugé que " l'article 17, pour autant qu'il vise des groupements ou des individus, a pour but de les mettre dans l'impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention; qu'ainsi personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés visés (...) " (arrêt de la CourEDH Lawless c. Irlande du 1er juillet 1961, p. 45, § 7, série A no 3). Ainsi, la Cour a jugé qu'un " propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention " se voit soustrait par l'art. 17 à la protection de l'art. 10 (arrêt de la CourEDH Lehideux et Isorni c. France du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, §§ 47 et 53). En particulier, dans l'affaire Pavel Ivanov (Pavel Ivanov c. Russie du 20 février 2007 [requête n°35222/04]) le requérant était l'unique fondateur, propriétaire et rédacteur en chef d'un journal dans lequel il avait publié une série d'articles appelant à exclure les Juifs de la vie sociale, alléguant l'existence d'un lien de cause à effet entre le malaise social, économique et politique et les activités des Juifs, et qualifiant ce groupe ethnique de malfaisant. La CourEDH a indiqué n'avoir aucun doute quant à la teneur fortement antisémite des opinions du requérant et elle a fait sienne la conclusion des tribunaux internes selon laquelle l'intéressé cherchait par ses publications à faire haïr le peuple juif. Une attaque aussi générale et véhémente contre un groupe ethnique particulier était en contradiction avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination qui sous-tendaient la Convention. En conséquence, la CourEDH a estimé qu'en vertu de l'art. 17 de la Convention, le requérant ne pouvait bénéficier de la protection de l'art. 10 (arrêt de la CourEDH Pavel Ivanov précité, § 1).

Décision

Le tribunal examine la notion de satire. Le texte a été publié dans un journal satirique ce qui amène a une analyse particulière car la satire est protégée par la liberté d'expression par la CEDH. Le tribunal fédéral examine dans un second temps l'utilisation du terme «juif». Le recourant soutient avoir utilisé ce terme non pas pour parler des individus mais pour désigner l'état d'Israël. Après analyse la condamnation du recourant par la cour cantonal ne viole pas l'Art. 261bis al. 4 première partie CP ni le principe de liberté d'expression. Le grief est rejeté.