TANGRAM 34 Bulletin der EKR Dezember 2014 - page 85

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Humor, Satireund Ironie
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L’humour, la satireet l’ironie
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Umorismo, satira e ironia
Humor undReligionen
Humour et religions
Umorismo e religioni
Albert de Pury
| Le rire, dernier échodu paradis…
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12/2014
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TANGRAM 34
Par la suite, j’ai été témoin d’autres mo-
ments de grande hilarité, pas si fréquents il
est vrai, mais inoubliables. Une soirée, par
exemple, dans le milieu sénégalais de Ge-
nève. Au dessert, le doyen de la Faculté de
médecine de Dakar nous raconta la visite de
la Reine d’Angleterre au Sénégal quelques
années auparavant. Le maire de la capitale,
à qui tout le monde avait dit de se taire ou
en tout cas de se faire discret en raisonde ses
maigres connaissances d’anglais, réussit néan-
moins à approcher la Reine et à lui déclarer:
«I am themother of Dakar!», ce à quoi S.M.
répondit, très gracieusement: «Oh, how de-
lightful! So you must have many children!»
Des dizaines d’autres histoires fusèrent. Les
convives, toutes couleursmêlées, étaient pliés
de rire.Dansmon souvenir, unmomentd’indi-
ciblebonheur.
Une autre soirée encore, qui se prolongea
tarddans lanuitd’été surunegrande terrasse
face aux Alpes valaisannes. S’y retrouvaient
quelquesparticipants – j’allaisdire«rescapés»
–d’un colloque interreligieux. Parmi eux,mon
ami Marc, grand-rabbin de son état. Et tout
à coup, nous voilà lancés dans un méli-mélo
d’histoires juives, chrétiennesoumusulmanes,
irrésistibles dedrôlerie, d’absurditéet de«vé-
rité». Qui a raconté quelle histoire? Je ne le
sais plus, mais je vois encore poindre devant
nos yeux Ben et Sam, deux amis juifs dans le
NewYorkdudébut du siècle. Tous les jours, ils
passent devant unegrande égliseoù s’affiche
une notice discrète: «Nous offrons 200 dol-
lars à tout Juif qui se convertit à la foi chré-
tienne!». Indignés, scandalisés, mais tout de
même un peu intrigués – car ils sont dans la
dèche – les deuxamis s’interrogent, et un jour
Samdéclare à Ben: «Il faut vraiment que j’en
aie le cœur net: je vais allerme renseigner!».
Ben promet de l’attendre. L’attente dure
une heure, deux heures, trois heures … Sam
finalement réapparaît, et tout de suite, Ben
Rire est pour les humains l’une des mani-
festations les plus tangibles du bonheur. Rire
desgros, riredesmaigres, riredesmaladroits,
rire des finauds, rire des puissants, rire des
faibles, rire des autres et, finalement, rire de
nous-mêmes. Si cette soupaped’allégressene
nous était donnée, laviene serait, commeon
dit, qu’une triste promenade dans une «val-
léede larmes».
Cette conviction, je l’ai acquise très tôt.
C’était à Berne, pendant la guerre, je devais
avoir trois ans, et mon père m’avait placé à
côté de lui sur le canapé pour me lire un des
albums de Rodolphe Töpffer (l’ancêtre gene-
vois de la bande dessinée):
Histoire de Mon-
sieur Cryptogame
(1845). En feuilletant pré-
cautionneusement et en m’expliquant une à
une les planches du bel album, il arriva à la
fameuse scèneoù Elvire (dont le seul désir est
de se faireépouserparMonsieurCryptogame)
se trouve à table chez l’élude son cœur. Il me
lut la légende griffonnée sous l’estampe sui-
vante: «Sur lafindu repas, Elvireparleen rou-
gissantdefixerun jour.MonsieurCryptogame
fixe jeudi etdemandepourquoi faire» (cequi
provoque chez Elvire une crise épouvantable
et contraint le héros à undépart précipité). A
ce moment-là, je vis mon père saisi d’un rire
irrépressible: il était là, secoué, muet, avait
les larmes qui lui coulaient des yeux, enproie
manifestement à la joie la plus totale. Je ne
comprenais évidemment rien à cette scène ni
à cequi avait pumettremonpèredans un tel
état, mais j’en tirai la conclusion que le bon-
heur étaitdans lesdessins, et lorsque le lende-
main, j’entendis mon petit frère pleurer dans
sonberceau, je tentai de le consoler endépo-
sant un albumde Töpffer sur sonduvet (… et
j’entends encoremamère accourir: «Mais Al-
bert, que fais-tu?Es-tudevenu complètement
fou?»).
Le rire, dernier échoduparadis…
Albert de Pury
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