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Humor, Satireund Ironie
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L’humour, la satire et l’ironie
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Umorismo, satira e ironia
Rückeroberungdes Humors
La réappropriationde l’humour
La riappropriazionedell’umorismo
NellyQuemener | Des figures repoussoirs à l’autodérision, le racisme dans l’humour en France
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12/2014
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TANGRAM34
Nelly Quemener est maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication à l’Université Sor-
bonne Nouvelle – Paris 3. Elle se penche dans son travail
sur les problématiques dugenre, de la classe et de la race
dans les représentationsmédiatiques. Elle est l’auteurede
l’ouvrage
Le pouvoir de l’humour. Politiques des repré-
sentations dans lesmédias en France
(2014) et co-auteure
avecMaximeCervullede
Cultural Studies: Théories etmé-
thodes
(àparaître2015).
Bibliographie
Blanchard Pascal, «La représentation de l’Indigène dans
les affiches depropagande coloniale: entre concept répu-
blicain, fiction phobique et discours racialisant»,
Hermès
30,
2001, pp. 149-168
CervulleMaxime,
Dans leblancdes yeux.Diversité, racisme
etmédias,
Paris, Editions Amsterdam, 2013.
DeltombeThomas,RigousteMathieu,«L’ennemi intérieur:
la constructionmédiatique de la figure de l’‹Arabe›», In:
Bancel Nicolas, Blanchard Pascal & Lemaire Sandrine (dir.),
La Fracture coloniale. La société française au prisme de
l’héritagecolonial,
Paris, LaDécouverte, 2005,pp. 191-198.
Dyer, Richard, «Stereotyping»; In: Richard, Dyer (dir.),
Gays and Film,
NewYork, Zoetrope, 1984, pp. 27-39.
Guénif-Souilamas Nacira, Macé Eric,
Les féministes et le
garçonarabe,
Paris, L’aube, 2006.
Hall Stuart, «The Spectacleof the ‹Other›», In: Stuart, Hall
(dir.),
Cultural Representations and Signifying Practices,
Birmingham, TheOpenUniversity, 1997, pp. 223-291.
Macé Eric 2007, «Des ‹minorités visibles› aux néo-stéréo-
types: Les enjeux des régimes demonstration télévisuelle
des différences ethnoraciales»,
In: Journal des anthropo-
logues,Hors-série«Identitésnationalesd’État»,
pp. 69-87.
en 2006 en France. A ce titre, l’émission du
Jamel Comedy
Clubdiffusée surCanal+ consti-
tueuneparfaitemiseenabîmedesopérateurs
de catégorisationethnoraciale. Chaque fois, il
s’agit d’exagérer les modalités de construc-
tion des catégories et de rendre compte des
aspects arbitraires et bien souvent réducteurs
de ces dernières, à l’instar de Jamel lançant
dans le premier épisode: «Il est beau le pu-
blic de ce soir. Y’a des Noirs, des Blancs, des
Arabes… des… ch’sais pas quoi! […] Toi t’es
Berbère… si, si je le vois, à tes gros sourcils!».
Dans l’émission, les échanges amorcés avec
le public tendent à faire de l’autodérision le
ferment dugroupe et la condition à la recon-
naissance collective des singularités et donc
des différences. L’ensemble produit l’image
d’ungroupe où chacun se trouve identifié se-
lon une catégorie et potentiellement soumis
à un stéréotype, mais également où chacun
catégorise, caricature, stéréotypise les autres
groupes voire son propre groupe. Remis en
perspective dans le discours de promotion de
la «diversité» particulièrement prégnant au
momentde la créationde l’émission (Cervulle,
2013), de tellesmises en scène semblent célé-
brer cette diversité en tant qu’expression des
différences ainsi que démontrer sa dimension
artificielle.Autrementdit, la«diversité»n’im-
pliquerait pas l’effacement des imaginaires
réducteurs, puisque lesmembres qui la consti-
tuent seraientà la fois sujetsetproducteursde
catégorisation grossière. Mais en tant qu’elle
permet la cohabitation et l’énonciation des
différences à l’échelle collective, elle serait
une condition pour contrer les stéréotypes et
désamorcer leurs effets de vérité.