TANGRAM 34 Bulletin della CFR Dicembre 2014 - page 86

86
Humor, Satireund Ironie
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L’humour, la satire et l’ironie
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Umorismo, satirae ironia
Humor undReligionen
Humour et religions
Umorismoe religioni
TANGRAM 34
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12/2014
| Albert de Pury
| Le rire, dernier écho duparadis…
compte. Il y a bien des années, j’avais fait un
dessinqui devaitévoquerununivers féerique:
uneoasisminusculeperdueaumilieud’undé-
sert qui s’étend à perte de vue. Le soleil est
écrasant, quelques enfants jouent à l’ombre
des figuiers de barbarie, un âne est assoupi à
côté du puits. Au-dessus de quelques petites
coupoles se dresse le minaret, et le muezzin
lance l’appel à la prière: «Allah est petit!».
Le dessin porte le titre «muezzin distrait».
Quand l’éditeur voulut savoir pourquoi je ne
lui donnais pas ce dessin pour son journal, je
lui répondisque, loind’êtreunepointe contre
la confession centrale de la foi musulmane,
la saynète en question était pour moi une
déclaration d’amour au monde des Mille et
une Nuits, ce monde qui avait tant enchanté
l’imaginaire de ma jeunesse. Aujourd’hui,
craignais-je, un tel dessin n’avait plus aucune
chance d’être compris. Il attendrait donc des
joursmeilleurs.
Le rire peut blesser. J’enfis la douloureuse
expérience ilyaquelquesannées.Unbanquier
demes connaissancesm’avait demandéde lui
dédicacer un demes albums. Je dessinai alors
une petite scène dans laquelle un banquier
affable explique à son client: «Croyez-enma
longue expérience: en matière de prévisions
financières, l’expériencene sertà…
rien!
». Le
destinataire de la dédicace non seulement ne
me remerciapasmaisnem’adressaplus jamais
laparole. J’en fus chagriné, car j’avais pour lui
beaucoupd’admiration. «Penses-tuqu’il a pu
prendre celaà titrepersonnel?», demandai-je
àmonami Lucienàqui je rapportai l’incident.
«Voyons, ne cherche pas plus loin, me dit-il,
mets-toi à sa place!». J’avais perçu, bien sûr,
l’ironie du double usage de «l’expérience»,
mais je pensais pour le reste ne reproduire
qu’une vérité très banale et universellement
reconnue. Certains faux pas ne se rattrapent
pas, et j’en garderai le souvenir honteux
jusqu’àmondernier jour.
l’interroge: «Alors, t’as pris les dollars?». Et
Samde lui répondre: «Leproblème, avecvous
Juifs, c’est que vous ne vous intéressez qu’à
l’argent!».…… Jene sais si de là-haut ils ont
pu entendrenos éclats de rire? Ils ont dû être
rassurés: «Point encorene s’est tarie la joiede
vivreparmi les fils d’Adam!»
Le rire est-il donc un écho du paradis?
Qui dit paradis, dit innocence. Mais le rire
est-il jamais innocent? Ce qui nous fait rire
frôle presque toujours le tragique. Le destin
d’Elvire, narréà travers l’HistoiredeMonsieur
Cryptogame, est tragiquedebout enbout. Et
tout à coup, le doute: Rodolphe Töpffer ne
serait-il pas un peu sexiste? Le doyen de la
Faculté de Dakar est-il vraiment net de tout
«blanchiment»? Les innombrables histoires
du grand-rabbin sont-elles bien casher? Allez
savoir!
Une chose est sûre: le rire, celui justement
que l’on découvre «irrésistible», ne peut être
que spontané. Il ressembleen celaà l’enchan-
tement musical ou à l’euphorie amoureuse. Il
ne peut être ni planifié, ni acheté, ni surtout
instrumentalisé. Un journal danois lance-t-il
un concours deblagues contreMahomet et la
religion musulmane? Rien n’est moins drôle.
Une instance iranienne réplique-t-elle par un
concours de dessins sur l’Holocauste? Rien
n’est plus triste. Et pour qui souhaite se faire
une idée de la caricature antisémite des an-
nées 1890 à 1945, qu’il consulte l’anthologie
parue en 2005 aux éditions Berg Internatio-
nal
1
: pasune seule fois il ne sera tentéde rire!
Le rirepeut nous surprendren’importeoù,
mais il ne peut être déconnecté dumoment,
du lieu, de la situationoude la compagniequi
lui servent de cadre. Comme le dit le livre de
l’Ecclésiaste (3,4): «Il est un temps pour pleu-
rer et un temps pour rire!» Et celui qui aime-
rait fairepartager son rireestobligéd’en tenir
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