TANGRAM 33 Bulletin de la CFR Juin 2014 - page 111

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Anti-Schwarzer Rassismus
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Racismeanti-Noir
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Il razzismo contro i Neri
International
Internationales
Uno sguardoall‘estero
Christiane Taubira | «La parole raciste s’exprime désormais à visage découvert»
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6/2014
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TANGRAM 33
tiennent de façon subliminale cet imaginaire.
Et de ces caricatures à «la guenon», il n’y a
qu’unpas...
Cemalaise identitaire est nourri par le fait
que les Françaisont le sentimentdevivredans
unpays endéclin?
Depuis dix ans, des «décli-
nologues»essaientdenous le
faire croire, mais c’est faux!
La France affronte des diffi-
cultés, c’est vrai, mais c’est
un pays prospère: elle pro-
duit 2000 milliards d’euros
de richesse nationale, elle
fabriquedesprixNobel, ellea
une jeunesse très dynamique
et très bien formée, la créa-
tivité artistique et culturelle
reste importante, des filières
économiques de haute tech-
nologie se développent. Bref,
c’est quoi ce déclin? Un chant funèbre, et
rien d’autre! Arrêtons de polluer l’esprit des
gens. Il faut leur redire ce qu’a été la France,
comment elle a surmonté ses difficultés par le
passé, et quels sont ses atouts aujourd’hui. Si
les Français réalisent que l’undes premiers ef-
forts qu’ils doivent accomplir consiste à s’éle-
verànouveauà lahauteurde ceque laFrance
représente dans l’imaginaire universel, ils au-
ront nettoyé lemiroir et se rendront compte
combien la Franceest forte et belle.
La réponse, c’est le projet républicain et
laïque?
Jen’en vois pas d’autre. Je comprends que
cela puisse laisser indifférents des milieux
sociaux ou culturels privilégiés pour lesquels
la République fonctionne. Mais ceux qui su-
bissent le racisme, les discriminations, l’exclu-
sion, l’antisémitisme, ceux qui ne cessent de
frapper à la porte de la République, à tous
ceux-là, nous devons offrir comme horizon
sencedumonde sur le territoiredenotrepays
inspire un destin commun. Et ce destin com-
mun, c’est lanation, et cedepuis la Fêtede la
Fédération du 14 juillet 1790. Même Renan a
changéaufilde ses réflexions: ilacomprisque
la nation n’est pas un groupe ethnique mais
une communauté civique, liée par un destin
commun. La nation française,
qui enfante des citoyens
égaux, dotés des mêmes
droits, se construit contre la
tribu, contre la conception
ethnique. Or, aujourd’hui, un
parti tribaliste, le Front natio-
nal, s’est emparé de la nation
et «vend» aux Français un
ressentiment tribal à l’endroit
de boucs émissaires immigrés.
La réponse au malaise iden-
titaire français, c’est donc de
rappeler aux citoyens d’où ils
viennent et de leur demander
quelle histoire ils veulent écrire ensemble. Il
faut en revenir au Siècle des Lumières qui a
produitunvrai basculement. C’est lapremière
fois que les Français ont cessé de se penser
seulement en fonctiond’unpassé commun et
ont commencé à comprendre qu’ensemble ils
devaient construireun avenir commun.
Mais l’histoire, c’est aussi celle d’un passé
colonial que la France n’a pas forcément di-
géré?
C’est vrai. Le tabou demeure. Il y a tout
un imaginaire colonial installé jadis par de
grandes expositions, ou par le Lavisse qui a
étéenseignéàdes générations. Il en restedes
traces. Je me souviens dans les années 1980
d’une grande affiche publicitaire montrant
un grand Noir avec des dents gigantesques
qui riait en disant: «Je vais le manger!» Et
il allait manger quoi? Le blanc de poulet... Il
n’y a plus d’expositions coloniales, mais toute
une iconographie perdure, des slogans entre-
Unparti tribaliste,
le Front national,
s’est emparéde la
nation et «vend»
aux Français un
ressentiment tribal
à l’endroit deboucs
émissaires immigrés.
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