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Anti-Schwarzer Rassismus
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Racismeanti-Noir
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Il razzismo contro i Neri
Tief verwurzelte Stereotype
Des stéréotypesaux racinesprofondémentancrées
Le radici profondedegli stereotipi
TANGRAM 33
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6/2014
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Noémi Michel
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«Enoncés dans le présent, les actes de discours racialisés ravivent une longue histoire d’exclusion et de violence»
tutions centrales de lamodernité. Ces institu-
tions se sont développées, justifiées et main-
tenues par le biais d’unemultitude d’actes de
discours racialisés qui ont infusé de sens cer-
tains attributs corporels tels que la couleur de
peau, la formedunez, la texturedes cheveux,
et en ont fait les marqueurs d’une différence
«naturelle» fondamentale, d’une infériorité
humaine. Les actes dediscours racialisés n’ont
cessé de circuler et d’être reformulés dans le
monde colonial, et ce, dans toutes les sphères
socio-politiques.
Les termes «nègre»et «négresse»ont par
exemple été des actes de discours extrême-
ment opérants. Synonymes dumot «esclave»,
ils ont constitué des catégories politiques et
légales qui réduisaient les Noirs au statut de
bêtede somme. Au seinde la science, dans les
écrits de l’anthropologie raciale et de l’eugé-
nisme, ils désignaient une «espèce» humaine
inférieure et faisaient l’objet de pratiques
tellesque lamesuredescrânes,ou ladissection
des organes génitaux comme en témoigne le
cas de Saartjie Baartman, surnommée la «Vé-
nus hottentote». Dans la sphère culturelle, les
«nègres» ont été représentés par des images
caricaturales qui circulaient par le biais des
films, des illustrés pour enfants,mais aussi des
«villages nègres», ces attractions qui préten-
daient montrer au public européen – notam-
ment aupublic suisse – des êtres «exotiques»
et «primitifs».Dans la sphère intime, lafigure
du «nègre» oude la «nègresse» est devenue
l’objet de peurs, mais aussi de fantasmes. En-
fin, ces termes ont circulédans la sphère com-
merciale: l’écrivain anticolonial Frantz Fanon
a par exemple vivement dénoncé le «nègre
de type y a bon Banania», cette figure cari-
caturale d’un tirailleur sénégalais «souriant»
qui servait de support publicitaire pour une
boisson chocolatée, et s’est retrouvée sur
des tasses et autres produits dérivés. Sans
cesse répétés, mis en circulation, à travers les
Noémi Michel se base sur la théorie poli-
tique et postcoloniale contemporaine pour
explorer des controverses en Suisse et en
France autour des mots et images hérités du
colonialisme. Ses recherches rendent compte
du pouvoir injurieux du discours et sou-
tiennent qu’il faut recevoir les contestations
publiques contre les discours racistes «bles-
sants» commedes appels à l’égalité.
Que se passe-t-il quand une personne
est victime d’insultes racistes? Pourquoi ces
insultes peuvent-elles être plus blessantes et
plus graves qued’autres insultes?
Les insultes font partie du domaine du
discours, à savoir du domaine des mots, des
images et des récits. La théorie des «actes de
discours» élaborée dans les années soixante
par le philosophe anglais J. L. Austin, et revi-
sitée par plusieurs travaux de théorie critique
contemporaine nous apprend que le discours
ne fait pas que décrire les choses, mais qu’il
agit sur la réalité. Comme le stipule la philo-
sophe JudithButler, lesmotsnous constituent,
nous avons besoin des mots pour exister so-
cialement. Notre position sociale se tisse au
quotidienpar des actes de discours variés. Les
noms, les clichés, les images, les catégories
par lesquels nous sommes interpelés consti-
tuent les ressorts de conventions sociales qui
dessinent notre position dans la société. Or,
certains actes de discours peuvent nous assi-
gner àuneposition injurieuse. C’est le cas des
insultes racistes, et, plus généralement, de
certainsmots, images, modes et dispositifs de
représentation stéréotypés des Noirs hérités
du colonialisme que l’on peut regrouper sous
la catégoriedes «actes dediscours racialisés».
Comme nous le rappellent l’historiogra-
phie et la pensée critique du colonialisme, la
traite négrière, l’esclavage, la conquête et la
domination coloniales ont constitué des insti-
«Enoncés dans leprésent, les actes de
discours racialisés ravivent une longue
histoired’exclusion et deviolence»
Propos recueillis par Joëlle Scacchi
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