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Anti-Schwarzer Rassismus
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Racismeanti-Noir
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Il razzismo contro i Neri
Tief verwurzelte Stereotype
Des stéréotypesaux racinesprofondémentancrées
Le radici profondedegli stereotipi
Noémi Michel
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«Enoncés dans le présent, les actes de discours racialisés ravivent une longue histoire d’exclusion et de violence»
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6/2014
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TANGRAM 33
mots racistes, on est doublement injurié: on
se retrouve non seulement exposé à la me-
nacedu retour d’unpasséexcluant,mais aussi
àunepratique linguistiquehumiliante.
Quelle est l’importance des circonstances
de l’énonciationdeparoles liées au racisme?
Les théories des actes de discours sou-
lignent que lepouvoir deblesser n’émanepas
des paroles en tant que telles,
mais des conventions sociales
et politiques auxquelles ces
parolesparticipent.De ce fait,
plusieurs éléments jouent un
rôle primordial sur ce que
j’appelle la «scène de la bles-
surediscursive racialisée».
Premièrement, le pou-
voir de blesser dépend de la
position sociale occupée par
la personne désignée par les
mots. Celle-ci est d’autant
plus vulnérablequ’elle s’iden-
tifie ou est identifiée à un
groupe qui a été systémati-
quement soumis à l’exclusion
par le passé. Les minorités noires sont parti-
culièrement vulnérables aux paroles racistes,
parce qu’elles ont été exposées à des condi-
tions historiques de violence et d’exclusion
systématiques durant plusieurs siècles. Dans
cette perspective, l’insulte «sale Blanc» peut
exercer une force blessante, mais cette force
n’est pas soutenue par des siècles d’histoire
d’exclusionet dedéshumanisation.
Deuxièmement, la force de blesser des
mots dépend du contexte politique contem-
porain de leur énonciation ou mise en circu-
lation. Les propos racistes nuisent d’autant
plus qu’ils sont proférés dans un contexte de
racisme ambiant, ou alors dans un contexte
contextes et les sphères sociales, ces actes de
discours assignaient les personnes marquées
comme «noires» à une place en marge de
l’humanitéet de la collectivité, àuneposition
qui les exposait à la violence, l’exploitation,
l’objectivationet lamort prématurée.
Aujourd’hui, les institutions du colonia-
lismeont été condamnées. Leur infrastructure
légale et politique a été démantelée, mais
leur infrastructure discursive
persiste. L’histoire des actes
de discours racialisés conti-
nue. Nous continuons à «lire
les corps comme des textes»,
comme le résume très bien
la formule du critique Stuart
Hall. Par conséquent, lorsqu’ils
sont énoncés dans le présent,
les actes de discours racialisés
ravivent une longue histoire
d’exclusion et de violence.
Ils viennent rappeler que le
racisme a été une institution
importantequi a régi denom-
breuses pratiques et relations
sociales d’exclusion durant
près de cinq siècles. L’énoncia-
tion ou lamise en circulation de tels actes de
discoursvient faireplaner lamenacedu retour
et de la réactivation de l’exclusion, voire de
la violence pour les groupes ou les individus
dont les corps se lisent comme «noirs».
Ainsi, c’est en venant faire figurer un pas-
sé excluant dans le présent que les mots, les
images, mais aussi certains gestes racialisés –
tels le lancer debanane –peuvent blesser. Ce-
pendant, parmi les nombreux types d’actes de
discours racialisés, les insultes racistesexercent
un pouvoir particulièrement injurieux. L’in-
sulte renvoie à un usage de la langue qui a
pour but de rabaisser, demoquer, d’humilier.
Par conséquent, lorsqu’on est insulté par des
Ainsi, c’est en
venant fairefigurer
unpassé excluant
dans leprésent que
lesmots, les images,
mais aussi certains
gestes racialisés –
tels le lancer de
banane – peuvent
blesser.