Fall 2023-064N
Waadt
Verfahrensgeschichte | ||
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2023 | 2023-064N | L’appel est admis et le prévenu est condamné pour incitation à la haine au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP. |
2024 | 2024-064N | Le Tribunal fédéral rejette le recours du prévenu et confirme ainsi sa condamnation pour discrimination et incitation à la haine. Il admet toutefois partiellement le recours sur la fixation de la peine. |
Juristische Suchbegriffe | |
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Tathandlung / Objektiver Tatbestand | Art. 261bis StGB / 171c MStG (keine Spezifizierung des Tatbestandes) |
Schutzobjekt | Sexuelle Orientierung |
Spezialfragen zum Tatbestand | keine |
Stichwörter | |
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Tätergruppen | Privatpersonen |
Opfergruppen | LGBTIQ+ |
Tatmittel | Wort |
Gesellschaftliches Umfeld | Medien (inkl. Internet) |
Ideologie | Feindlichkeit gegen LGBTIQ+ |
L'accusé est essayiste polémiste. Lors d'une interview, il a qualifié C. de « grosse lesbienne » et a en outre utilisé plusieurs mots clés désobligeants et hostiles à la communauté queer, par exemple « désaxé ». Il s'est prononcé contre le mouvement LGBTQI+ et a insinué dans son discours que les personnes issues de cette communauté n'étaient pas normales. En tant que professionnel des médias ou rédacteur, il était conscient de la portée de ses slogans.
La première instance libère le prévenu du chef d’accusation de discrimination et incitation à la haine (Art. 261bis CP), mais le condamne pour diffamation à une peine pécuniaire.
Le Ministère public a interjeté appel contre ce jugement, concluant à sa réforme en ce sens que le prévenu est condamné pour discrimination et incitation à la haine à une peine privative de liberté de 3 mois.
La deuxième instance reconnait le prévenu coupable de discrimination et incitation à la haine et le condamne à une peine d'emprisonnement.
Le Tribunal fédéral rejette le recours du prévenu.
Dans une interview filmée et publié sur différents sites internet, le prévenu a tenu les propos suivants concernant un article de la journaliste C. :
« C’est à la limite de la désinformation, à la limite du mensonge, à la limite de la diffamation. » (dès 0:54). « Globalement, c’est ce qu’on appelle de la fake news. » (dès 1:02).« L’esprit mensonger de l’article [de C.] et de l’interview [de [...]], c’est une attaque concertée. La CICAD est rentrée de vacances, visiblement. » (dès 11:13). « Je crois que cet article à charge est relativement malhonnête et mensonger et aussi signé par une militante communautaire, qui elle est une militante queer qui se bat aussi pour les migrants. Donc voilà face à quoi on est. Moi je suis un Suisse dans mon pays, qui défend l’âme suisse et l’esprit suisse, dans la grande tradition, je dirais, de Jean-Jacques Rousseau, et je suis face à des gens qui à mon avis sont ultra-minoritaires. Et je rappelle que queer en anglais ça veut dire, je crois, désaxé. Donc je pense qu’entre ma vision du monde et celle d’une grosse lesbienne militante pour les migrants, je pense que je suis plus, moi, un combattant pour la paix, la fraternité et l’âme suisse que ceux qui aujourd’hui me font face et qui me harcèlent, alors que je ne leur ai rien demandé. »
Sous cette vidéo, sur le site Y., figurait une photographie de C.
Entscheid 2023-064N
Art. 261bis al. 1 CP
Le Ministère public conteste l’acquittement d’X. du chef d’accusation de discrimination et incitation à la haine au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.
La Cour d’appel considère que les propos décrits constituent, au vu des termes utilisés et du contexte général dans lequel ils ont été prononcés, une incitation à la haine et à la discrimination des homosexuels et des lesbiennes en particulier. En effet, en rapprochant les termes « queer » qui, selon le Petit Robert (éd.2023), désigne, en anglais, « les personnes dont l'orientation ou l'identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants », et « désaxé », qui, en lien avec une personne physique, signifie « qui n’est pas dans son état normal » (Petit Robert, éd. 2023) ou « qui souffre d’un déséquilibre mental ; déséquilibré » (Larousse, éd. 2023), l’intimé présente l’orientation sexuelle de la partie plaignante comme déficiente, anormale et par conséquent méprisable. Le caractère dépréciatif, rabaissant et discriminant des propos précités est encore renforcé par le contexte général de la présentation de la partie plaignante, qualifiée par l’intimé de « grosse lesbienne » et de « militante communautaire » colportant des « fake news ». Pris dans leur ensemble, les termes utilisés font apparaître la plaignante, de même que toute la communauté homosexuelle et lesbienne (« voilà face à quoi on est », « je suis face à des gens qui à mon avis sont ultra-minoritaires »), comme une personne qui, compte tenu de son orientation sexuelle, serait méprisable, indigne et déséquilibrée. En insistant comme il l’a fait sur le militantisme et l’orientation sexuelle de la plaignante, au moyen d’un vocabulaire méprisant et rabaissant, tout en prenant le soin de faire figurer une photographie de celle-ci sous la vidéo incriminée et ce, afin qu’elle soit parfaitement identifiable par les internautes, l’intimé a cherché à diffuser un message destiné à éveiller et exciter un sentiment homophobe auprès de ses spectateurs et auditeurs.
La réaction des internautes, même si elle n’est pas opposable comme fait punissable à l’intimé, constitue la preuve par l’acte que les propos incriminés ont bien incité à la haine et à la discrimination de la partie plaignante. Invité à s’exprimer au sujet de ces commentaires, l’intimé ne les a pas désapprouvés ; il s’en est même amusé, les trouvant « très drôles, pleins de finesse et d’esprit », de même que « taquins ». Les déclarations de l’intéressé, son absence de modération et le maintien en ligne de la vidéo incriminée, alors qu’il se savait faire l’objet d’une procédure pénale, attestent également du dessein qu’était le sien d’attiser chez ses spectateurs et auditeurs des émotions viles de manière à susciter la haine et la discrimination, ce que réprime précisément l’art.261bis al. 1 CP.
Les propos incriminés ont été tenus publiquement, puisque la vidéo litigieuse a été mise en ligne sur Internet et qu’elle a été visionnée des milliers de fois, notamment sur YouTube et sur le site [...]. L’intimé avait en outre parfaitement conscience du fait qu’une fois mise en ligne la vidéo serait diffusée sur d’autres sites. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’Art. 261bis al. 1 CP est applicable aux propos tenus publiquement par X.
Subjectivement, X. a agi intentionnellement. Les mots ont été choisis à dessein. Il a d’ailleurs admis que le sens « désaxé », utilisé pour définir le mot « queer » lui avait paru « le plus approprié ». Ces mots ont fait l’objet d’une réflexion préalable. En agissant de la sorte, il entendait, de manière consciente et volontaire, alimenter et susciter la haine et la discrimination non seulement envers C. mais aussi envers toute la communauté homosexuelle et lesbienne.
En définitive, l’appel du Ministère public doit être admis sur ce point, de sorte qu’C. sera condamné pour discrimination et incitation à la haine au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.
Art. 261bis al. 2 CP
Le simple fait de revendiquer publiquement son appartenance à une idéologie, en l’occurrence homophobe, ne suffit pas à ce que les éléments constitutifs de l’Art. 261bis al. 2 CP soient réalisés. Cette disposition exige en effet que l’auteur « propage » cette idéologie. Par « propagation », il faut entendre « en faire la publicité », « faire de la propagande ». Il ne résulte pas suffisamment des propos incriminés que l’intimé aurait fait de la propagande homophobe. On ne discerne en particulier pas d’invitation à rejoindre un mouvement homophobe ou de propagande exprimées dans l’entretien. Partant, cette disposition n’est pas applicable dans la présente cause.
Art. 261bis al. 4 CP
Le Ministère public considère que l’intimé devrait être condamné pour infraction à l’art 261bis al. 4 CP. Dans l’ordonnance pénale tenant lieu d’acte d’accusation, il a été constaté que les propos du prévenu ne revêtaient pas une intensité suffisante pour faire application de l’Art. 261bis al. 4 CP. Il s’agit en réalité sur ce point d’une décision de classement, qui lie l’autorité de jugement, de sorte que le moyen soulevé doit être écarté.
Fixation de la peine
La culpabilité d’X., qui, en tant qu’intellectuel, écrivain et éditeur, connaît parfaitement l’importance du choix des mots, est lourde. Par ses propos méprisants, blessants et homophobes, il a non seulement insulté et diffamé la partie plaignante, photo à l’appui, alors que celle-ci n’avait effectué que son travail, mais s’en est également pris à toute la communauté LGBT.
L’intimé n’a jamais été condamné en Suisse. Il a toutefois été condamné en France à 22 reprises, en particulier pour des propos racistes, discriminatoires ou diffamatoires, à des peines pécuniaires pour l’essentiel ainsi qu’à quelques reprises à des peines privatives de liberté avec sursis. Il n’en a tiré aucun enseignement et présente, à l’évidence, une insensibilité totale à la sanction pénale. Ce sont donc évidemment des motifs de prévention spéciale qui dictent le choix d’une peine privative de liberté, tant pour l’infraction de diffamation que pour celle de discrimination et incitation à la haine. Seule une sanction de cette nature est susceptible d’exercer un effet de contention sur l’intimé.
L’appel est admis et le prévenu est condamné pour incitation à la haine au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP à une peine privative de 60 jours.
Entscheid 2024-064N
Selon le recourant, le terme « queer » se rapporte à l’identité de genre et non à l’orientation sexuelle ; les atteintes à ce groupe de personnes ne seraient ainsi pas couvertes par la protection de l’Art. 261bis al.1 CP. Le terme queer désigne cependant les personnes dont l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ne correspond pas aux modèles dominants. Ainsi, il se rapporte aussi bien à l’une qu’à l’autre, dans la mesure où celles-ci ne relèvent pas de modèles sociaux « traditionnels » et « dominants ». Dans le cas précis, rien ne suggère que le recourant voulait s’en prendre spécifiquement à l’identité de genre de la victime. Au contraire, il a également utilisé le terme « lesbienne » dans son discours, en s’en prenant ainsi aux personnes ne correspondant pas aux modèles sociétaux « traditionnels ». Même si l’étymologie du terme queer se trouve être « off-center », traduit par « désaxé » en français, le contexte général de rabaissement, de déshumanisation et d’outrance dans lequel s’inscrit l’utilisation du mot ne permet pas de retenir une utilisation neutre du terme. Au contraire, une connotation très péjorative est à relever, ayant ainsi vocation à renforcer un climat d’hostilité. La Cour cantonale avait pris en compte les réactions des internautes pour établir la signification du message incriminé du point de vue d’un tiers moyen. Cette façon de procéder n’est pas remise en question par le Tribunal fédéral, dans la mesure où cela reste une aide à l’interprétation.
Le recourant conteste également qu’il avait agi intentionnellement, remettant en cause ainsi l’aspect subjectif de l’infraction. Plusieurs points permettent toutefois de retenir l’intention. A. ne s’est pas exprimé à chaud, ayant notamment effectué des recherches sur internet avant de se mettre en scène sous la forme de l’interview. Il n’a pas non plus désapprouvé les commentaires de la vidéo qui est restée en ligne. Il n’a pas cherché à se montrer descriptif dans son discours. Les condamnations précédentes à l’étranger peuvent également être pris en compte, permettant d’apprécier sa personnalité et sa pensée.
Concernant la liberté d’expression, son cadre est rappelé, en précisant que les restrictions doivent être faites avec une grande parcimonie pour ne pas dissuader les médias de traiter de sujets légitimes. Cependant, il est relevé que A. ne traite pas du sujet LGBTI mais se limite à s’en prendre à la personnalité d’une journaliste en raison de son orientation sexuelle et d’exprimer son mépris. Il s’agit ainsi d’une attaque personnelle gratuite et non pas de l’expression d’une opinion sur des questions d’intérêt public.
Au vu de la culpabilité du recourant, le choix de la peine privative de liberté, généralement prononcée en dernier recours, ne viole pas le droit fédéral. Toutefois, concernant la fixation de la peine en nombre de jours, dans la mesure où la peine prononcée en première instance n’a pas été remise en cause dans l’appel du Ministère public, la Cour cantonale n’était pas autorisée à prononcer une nouvelle peine pour cette infraction, ce point du jugement n’ayant pas été attaqué. Le recours doit ainsi être partiellement admis sur ce dernier point.
Le Tribunal fédéral rejette le recours du prévenu et confirme ainsi sa condamnation pour discrimination et incitation à la haine. Il admet toutefois partiellement le recours sur la fixation de la peine.