Cas 2018-071N

Brûler du Muzz

Vaud

Historique de la procédure
2016 2016-061N Le Tribunal de police déclare le prévenu coupable d’incitation à la haine raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.
2016 2016-063N La Cour d’appel pénale rejette l’appel et déclare le prévenu coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.
2017 2017-049N Le Tribunal fédéral admet le recours. Il renvoie la cause à l’autorité cantonale de deuxième instance pour une nouvelle décision.
2017 2017-054N La Cour d’appel pénale rejette l’appel et confirme le jugement de l’autorité de première instance et déclare le prévenu coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.
2018 2018-071N Le Tribunal fédéral rejette le recours. Le prévenu est donc déclaré coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.

Critères de recherche juridiques
Acte / Eléments constitutifs objectifs Art. 261bis CP / 171c CPM (aucune spécification des éléments constitutifs)
Objet de protection Religion
Questions spécifiques sur l'élément constitutif
Mots-clés
Auteurs Particuliers
Victimes Musulmans
Moyens utilisés Ecrits;
Communication électronique
Environnement social Médias sociaux
Idéologie Hostilité à l'égard des personnes musulmanes

Synthèse

Le prévenu a publié sur sa page Facebook accessible au public un message islamophobe. Le même jour, il a ajouté le un second commentaire à connotation violente.

En fait / faits

Le prévenu a publié sur sa page Facebook accessible au public le message suivant : « J’organise une kristallnacht. Qui est partant pour aller brûler du muzz ? ». Le même jour, il a ajouté le commentaire « J’ai mon p226 qui doit bientôt arriver + le calibre 12 ».


Décision 2016-061N

Le Tribunal de police déclare le prévenu coupable d’incitation à la haine raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.

En droit / considérants

Publicité
L'auteur doit agir publiquement. Il faut considérer comme public tout propos ou comportement qui n'a pas lieu dans le cadre privé. Sont considérés comme privés, les propos qui ont lieu dans le cercle familial ou des amis ou dans un environnement de relations personnelles ou de confiance particulière. Savoir si cette condition est remplie dépend des circonstances concrètes, parmi lesquelles le nombre de personnes présentes peut jouer un rôle (ATF 130 IV 11, JT 2005 IV 292). Dans un ancien arrêt, le Tribunal fédéral avait jugé que des déclarations· antisémites contenues dans une lettre adressée à 432 personnes remplissaient cette condition de publicité (ATF 123 IV 202, JT 1999 IV 34). La jurisprudence est toutefois devenue encore plus large en ce sens qu'il suffit que le comportement reproché ne reste pas limité au cercle privé étroit que le législateur a voulu exclure de la punissabilité (Dupuis et al., Petit commentaire du code pénal, 2012., n. 18 et 19 ad Art. 261bis). En l'espèce, le message aurait pu être visible par tous les contacts Facebook du prévenu, lesquels s'élevaient à 401 en 2013 et qui s'élève à ce jour à quelques centaines de personnes selon le prévenu, de sorte que l'on peut raisonnablement penser que le nombre des destinataires aurait pu se situer aux alentours des 400 personnes, lesquelles pouvaient reprendre ces déclarations dans leur compte et les diffuser à d'autres contacts. Le prévenu fait valoir que seulement quelques dizaines ont un accès à ce message, ces quelques dizaines de personnes n'étant pas choisies par le prévenu, mais par Facebook. Même si l'on admettait que quelques dizaines de personnes ont eu accès à cette page Facebook, on est loin du cercle privé de personnes de confiance, compte terni du nombre indéterminé de personnes qui pouvaient lire ce message et du genre de relations que ces personnes avaient avec le prévenu ; les « amis» sur Facebook ne peuvent en effet pas être considérés comme un groupe ayant des relations personnelles et de confiance particulière. Ces personnes ne se connaissaient pas toutes entre elles. Le caractère privé doit ainsi être dénié à ce message. La condition de publicité est par conséquent remplie.

Terme « Muzz »
L'auteur doit en outre avoir incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse. Il importe peu que les destinataires du message suivent les conseils de l'auteur. L'incitation désigne l'influence durable et insistante sur des personnes d'action ayant pour objectif ou pour effet une attitude hostile vis-à-vis d'une certaine personne ou d'un certain groupe de personnes. La discrimination se définit comme une distinction arbitraire, c'est-à-dire fondée sur un motif qui ne présente aucun lien suffisant avec le droit ou la situation juridique en cause. Est compris sous le terme de haine, une attitude fondamentalement hostile qui dépasse le simple refus, le mépris ou l'antipathie ; il s'agit d'un état qui précède de peu des comportements agressifs ou des actes de violence (Dupuis et al., op. cit., n. 26, 28, 29 et 30 ad art. 261 bis). Dans le cas présent, le terme « muzz » vise les musulmans dans leur ensemble, sans distinction. Le prévenu soutient qu'il entendait par là uniquement les islamistes terroristes ; X tient les mêmes propos, mais son témoignage est influencé par son intérêt personnel dès lors qu'il a lui-même répondu à ce message ·de manière très virulente. Si l'on se réfère à la définition que l'on trouve sur internet du terme « muzz », celui-ci désigne les musulmans ; il s'agit d'un terme familier ; la phonétique du terme confirme qu'il désigne les musulmans et non pas uniquement les islamistes terroristes. Le Tribunal retient donc que le terme « muzz » se réfère aux musulmans dans leur intégralité et que le prévenu a pris le risque de faire un amalgame entre les musulmans et les islamistes terroristes en utilisant ce terme. Le prévenu s'en prend ainsi à un groupe de personnes en raison de leur confession musulmane. La « Kristallnacht » fait référence au massacre des juifs par Hitler et le fait de proposer d'aller brûler du « muzz » est clairement une incitation à la haine. Le fait d'avoir ajouté qu'il avait son P226 et son calibre 12 (fusil à pompe) qui allait bientôt arriver confirme l'agressivité des propos et la violence des actes suggérés. Par conséquent, le prévenu a bien incité à la haine envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse.

Intention
L'infraction est intentionnelle. Le dol éventuel suffit. En l'espèce, en s'en prenant aux « muzz », le prévenu savait, à tout le moins par dol éventuel, que les destinataires du message comprendraient que les personnes concernées étaient les musulmans. Il ne fait aucune distinction à cet égard et ne peut se justifier ensuite qu'il pensait uniquement aux terroristes islamistes. Compte tenu du contexte et des événements qui étaient en cours, l'amalgame entre musulmans et islamistes terroristes était particulièrement vite fait. En parlant de « muzz » sans identifier plus précisément les personnes ciblées, le prévenu savait ou à tout le moins devait savoir que les destinataires du message y verraient les musulmans comme cible. Motivé par des sentiments haineux, il a volontairement contribué à entretenir des amalgames dans un contexte particulièrement délicat. En publiant ces déclarations sur son compte Facebook, largement accessible, le prévenu avait pour but que ces messages soient lus. Son acte a·été dicté par des mobiles de discrimination raciale. L'élément subjectif de l'infraction est donc réalisé.

Décision

Le Tribunal de police déclare le prévenu coupable d’incitation à la haine raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP. Le prévenu est condamné à une peine pécuniaire de 25 jours-amende à CHF 30.00 par jour, avec sursis pendant deux ans. Il est additionnellement condamné au paiement d’une amende de CHF 150.00 et au paiement des frais de justice, arrêtés à CHF 1225.00.-


Décision 2016-063N

La Cour d’appel pénale rejette l’appel et déclare le prévenu coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.

En droit / considérants

Le prévenu conteste sa condamnation pour discrimination raciale par l’autorité de poursuites pénales à 25 jours-amende à hauteur de CHF 30.00 par jour et à une amende de CHF 150.00. II considère que ses propos devraient être appréciés dans le contexte particulier qui était celui des heures qui ont suivi l'attentat dont a été victime la rédaction du journal Charlie Hebdo et qu'ils n'auraient pas été dirigés contre l'ensemble des musulmans, mais uniquement contre un groupuscule terroriste.
L’autorité de deuxième instance estime que la condition de la publicité est sans aucun doute réalisée. En effet, en publiant ce statut sur son réseau social, l’appelant a perdu le contrôle du nombre de destinataires et l’on ne se retrouvait plus dans un environnement de relations personnelles ou de confiance particulière.
S'agissant du terme « muzz » utilisé par le recourant, l’autorité de deuxième instance relève que la seule définition de ce mot ressort du Wiktionnaire, selon laquelle « muzz » est un « apocope de musulman, la consonne finale étant inspirée de la prononciation plutôt que de la graphie originelle ». Au sens usuel, ce mot se réfère donc bien à l'ensemble des musulmans, sans distinction d'une quelconque appartenance à une association terroriste. A cet égard, le Tribunal relève que la première partie du message, à savoir le fait que l’appelant se proposait d’organiser une nouvelle « Kristallnacht », fait également référence à toute une communauté religieuse. Le tribunal souligne que l’appelant ne se prévaut pas d'autres sources susceptibles d'accréditer sa définition selon laquelle ce terme ferait référence à un groupuscule islamiste terroriste. Le Tribunal relève donc que pour l’utilisateur moyen, tant le mot « muzz » que la référence à la Kristallnacht faisait référence à la communauté religieuse musulmane dans son ensemble.
L’autorité de deuxième instance relève que le fait de proposer d'aller « brûler du muzz » ne dénote ainsi aucune ambiguïté mais révèle clairement une incitation à la haine ou à la discrimination d'un groupe religieux, soit en l'espèce les musulmans. En ajoutant quelques heures plus tard que son «P226» et son « calibre 12 » (fusil à pompe) allaient bientôt arriver, l'appelant n'a fait que confirmer l'agressivité des propos et la violence des actes suggérés. Par conséquent, le message de l'appelant était propre à éveiller la haine envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse. Le recourant a certes supprimé ses publications après coup, mais cet élément ne saurait toutefois rendre licites les actes qu'il a commis.
Le Tribunal souligne que l’appelant ne peut se prévaloir du climat de tension extrême pour justifier sa publication. Le fait que les messages aient été écrits sous la colère suscitée par l’attentat est toutefois pris en compte lors de la fixation de la peine.
L’autorité de deuxième instance relève que le prévenu avait manifestement pour but que ces messages soient lus et son acte, dicte par des mobiles de discrimination religieuse, visait à galvaniser les utilisateurs du réseau social. Pour le surplus, le texte du message était suffisamment éloquent pour que le prévenu n'ait pu qu'avoir conscience et volonté du sens du message qu'il propageait. L'élément subjectif de l'infraction est réalisé.

Décision

La Cour d’appel pénale rejette l’appel et déclare le prévenu coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP. Elle juge la peine prévue par le Tribunal de police adéquate et la confirme. Le prévenu est donc condamné à une peine pécuniaire de 25 jours-amende à CHF 30.00 par jour, avec sursis pendant deux ans. Il est additionnellement condamné au paiement d’une amende de CHF 150.00.


Décision 2017-049N

Le Tribunal fédéral admet le recours. Il renvoie la cause à l’autorité cantonale de deuxième instance pour une nouvelle décision.

En droit / considérants

Le recourant invoque la violation de son droit d’être entendu. Il reproche à l’autorité de deuxième instance d'avoir cherché seule la signification du mot « muzz » sur Internet, de l'avoir ajoutée aux faits de la cause sans interpeller les parties ni leur permettre de se déterminer sur cette définition, puis d'avoir tonde sur cette base son raisonnement conduisant à le condamner.
Le Tribunal fédéral constate que la définition du mot « muzz » issue du Wiktionnaire ne pouvait pas revêtir, uniquement sur la base de cette source, la qualité de fait notoire. A titre de dictionnaire collaboratif, ce site ne possède aucun caractère officiel. Le tribunal explique également que toutes les informations présentes sur internet ne peuvent pas être considérée comme des faits notable du fait du grand nombre d’informations et de la qualité toute relative de ces informations. Faute d’avoir donné communication de ses recherches aux parties en leur offrant la possibilité de s’exprimer à leur propos, la cour cantonale a violé le droit d’être entendu du recourant. Cette violation ayant eu une influence directe sur le sort de la cause, le Tribunal fédéral admet le recours.

Décision

Le Tribunal fédéral admet le recours. Il renvoie la cause à l’autorité cantonale de deuxième instance pour une nouvelle décision.


Décision 2017-054N

La Cour d’appel pénale rejette l’appel et confirme le jugement de l’autorité de première instance et déclare le prévenu coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.

En droit / considérants

La Cour d’appel pénale appelle les parties à se déterminer sur la définition de « muzz » du Wikitionnaire.
La Cour d’appel pénale se réfère au dictionnaire français Larousse, dont l’usage est reconnu et auquel l’appelant a fait référence, pour déduire que le mot « muzz » est une apocope du mot « musulman ». Le retranchement des dernières syllabes du terme « musulman » ne rend pas le terme « muzz » incompréhensible, ni équivoque : abrégeant simplement « musulman ». Le tribunal souligne l’absence de preuves apportées par l’appelant pour soutenir le fait que le terme « muzz » faisait uniquement référence aux islamistes terroristes. Le Tribunal retient donc que le terme « muzz » désigne ainsi les musulmans, dans leur ensemble, sans distinction d'une quelconque appartenance à une association terroriste.
Le Tribunal considère de plus qu’en utilisant le terme « muzz » et en y ajoutant une référence à la « Kristallnacht », l'appelant, motivé par des sentiments haineux, a contribué à tout le moins, dans le contexte particulier et délicat des attentats du 7 janvier 2015, à entretenir l'amalgame entre musulmans et islamistes terroristes. Ainsi, pour les destinataires moyens que sont les centaines de personnes susceptibles d'avoir lu le statut Facebook litigieux, tant le mot « muzz » que l'évènement historique dont le prévenu se proposait d'organiser une nouvelle édition faisaient référence à la communauté religieuse musulmane dans son ensemble, sans distinction.
En définitive, le message de l'appelant était propre à éveiller la haine envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, soit en l'espèce les musulmans, protégés par l'art. 261 bis CP.

Décision

La Cour d’appel pénale rejette l’appel et confirme le jugement de l’autorité de première instance et déclare le prévenu coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.
Le prévenu est condamné à une peine pécuniaire de 25 jours-amende à CHF 30.00 par jour, avec sursis de deux ans. Il est additionnellement condamné au paiement d’une amende de CHF 150.00.


Décision 2018-071N

Le Tribunal fédéral rejette le recours. Le prévenu est donc déclaré coupable de discrimination raciale au sens de l’Art. 261bis al. 1 CP.

Décision

Le prévenu a recouru contre la décision de l’autorité cantonale de deuxième instance, au motif que celle-ci ne s’était pas conformé à la décision du Tribunal fédéral et n’avait pas administré de nouveaux moyens de preuve.
Le Tribunal fédéral souligne qu’il n’a pas ordonné à la cour cantonale de compléter ses moyens de preuve mais uniquement de respecter les principes d’administration des preuves et le droit d’être entendu, ce que l’autorité cantonale a fait.
Le Tribunal fédéral retient que les considérations de la cour cantonale ne prêtent pas le flan à la critique. Il rejette le recours.
Les frais judiciaires, arrêtés à CHF 3000.00 sont mis à la charge du recourant.