Cas 2006-054N
Vaud
Historique de la procédure | ||
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2006 | 2006-054N | L'autorité de poursuite compétente condamne l'accusé. |
2007 | 2007-015N | La 1ère instance condamne l'accusé. |
2007 | 2007-027N | La 2ème instance rejette le recours de l'accusé. |
2007 | 2007-076N | Le Tribunal fédéral rejette le recours. |
Critères de recherche juridiques | |
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Acte / Eléments constitutifs objectifs | Négation d'un génocide (al. 4 2ème phrase) |
Objet de protection | |
Questions spécifiques sur l'élément constitutif |
Mots-clés | |
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Auteurs | Acteurs politiques |
Victimes | Membres d'autres communautés religieuses; Etrangers et membres d'autres ethnies |
Moyens utilisés | Déclarations orales; Ecrits |
Environnement social | Lieux publics |
Idéologie | Révisionnisme |
L'accusé (ressortissant et habitant turc) a nié à plusieurs reprises l'existence dun génocide perpétré sur le peuple arménien, en 1915 et dans les années suivantes, par l'Empire ottoman. Il a notamment dit que le génocide des Arméniens était un mensonge international.
L'autorité de poursuite compétente constate que l'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase paraît applicable à l'accusé.
La 1ère instance condamne l'accusé à une peine de 90 jours-amende avec sursis, fixé à CHF 100.- par jour, soit CHF 9'000.- au total, et à une amende de CHF 3'000.-. Il devra également payer à l'association Suisse-Arménie une indemnité pour tort moral de CHF 1'000.- et lui verser CHF 10'000 pour le remboursement des dépenses pénales. Finalement l'accusé devra payer les frais de la cause.
La 2ème instance rejette le recours et confirme le jugement.
Dans le cadre d'un discours public en langue turc tenu lors d'une conférence de presse l'accusé (ressortissant et habitant turc) a nié plusieurs reprises l'existence d'un génocide perpétré sur le peuple arménien, en 1915 et dans les années suivantes, par l'Empire ottoman. Il a notamment qualifié cette période de l'histoire de «mensonge international» et tenu les propos suivants:
«Je m'adresse à l'opinion publique européenne [
] : les allégations du
Non seulement les documents des archives de la Turquie mais aussi ceux de la Russie démentent ces menteurs internationaux.
Selon ces documents, les responsables de l'égorgement entre Musulmans et Arméniens sont des impérialistes occidentaux, et de la Russie tsariste. Les grands Etats, qui voulaient partager l'empire ottoman, ont provoqué une partie des Arméniens, avec qui nous avions vécu en paix pendant des siècles, et les ont incités à la violence. Les Turcs et les Kurdes ont défendu leur patrie contre ces attaques. Il ne faut pas oublier qu'Hitler, en usant de ces mêmes méthodes, c'est-à-dire en utilisant les groupes ethniques et les communautés, divisant les pays pour ses desseins impérialistes ; les peuples s'entretuaient [ ]
Le mensonge du
Le fait que des décisions successives, qui considèrent même notre guerre de libération comme
Les USA et l'UE ont actionné, pour la campagne de mensonge sur le
[
] Ne croyez pas aux mensonges hitlériens tels que celui du
L'association Suisse Arménie a porté plainte contre l'accusé deux mois après cette conférence de presse.
L'accusé a participé à une conférence tenue à l'occasion de la commémoration de la signature du Traité de Lausanne de 1923. Il s'est exprimé successivement en allemand puis en turc pour nier à nouveau publiquement le génocide arménien, dires qu'il a confirmés lors de son audition par la justice. L'accusé a notamment tenu les propos suivants :
«Das Kurdenproblem und das Armenier-Problem sei dann zumal kein Problem gewesen und habe dann zumal gar nicht existiert [ ].»
A l'issue de la conférence l'accusé a diffusé un opuscule intitulé «Die Grossmächte und die Armenierfrage», dont il est l'auteur et dans lequel il nie systématiquement l'existence dun génocide du peuple arménien.
Dans le cadre d'une réunion du Parti du travail turc, l'accusé a, une nouvelle fois, publiquement nié l'existence dun génocide arménien. Dans son discours en allemand il a notamment proclamé :
«[ ] selbst Lenin, Stalin und andere Führer der sowjetischen Revolution haben geschrieben über die armenische Frage, sie sagten damals in ihren Berichten, es gab keinen Völkermord an den Armeniern, der von den Türkischen Behörden durchgeführt worden wäre. Diese Feststellung wurde damals nicht zur Propaganda fabriziert. In geheimen Berichten sagten die sowjetischen Führer dies ist sehr wichtig und diese sowjetischen Archive stellen fest, damals kam es zwischen Armeniern und Moslems zu Völkerschlachten, Metzeleien und Massakern. Aber die Türkei war auf der Seite der Vaterlandsverteidiger und die Armenier waren auf der Seite der imperialistischen Mächte und deren Instrument [ ].
[ ] und wir fordern hier von Bern, vom Nationalrat der Schweiz und allen Parteien der Schweiz : Bitte interessieren Sie sich für die Wahrheiten und lassen Sie diese Vorurteile, es ist meine Beobachtung und ich habe alle Artikel über die armenische Frage gesehen und es geht nur um Vorurteile und seien sie mit ( ??) was gesagt er zu diesen Vorurteilen, und dies ist die Wahrheit, es gab keinen Genozid an den Armeniern 1915. Es war eine Völkerschlacht und wir haben viele Opfer gegeben [ ].
[ ] die russischen Offiziere sind damals sehr enttäuscht gewesen, weil die armenischen Truppen Massaker gegen Türken und Muslime ausgeführt haben [sic]. Diese Wahrheiten sagt ein russischer Kommandant [ ].»
Le Conseil national, comme bon nombre de Parlements internationaux, nationaux et cantonaux auparavant, a approuvé un postulat reconnaissant le génocide subi par le peuple arménien en 1915.
Décision 2006-054N
L'autorité de poursuite compétente constate que l'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase paraît applicable à l'accusé.
L'autorité de poursuite compétente constate que l'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase paraît applicable à l'accusé.
Décision 2007-015N
Le Tribunal admet que la négation d'un massacre, aussi large soit-il, ne tombe pas systématiquement sous le coup de l'Art. 261bis CP. Il doit s'agir d'un génocide tel que le définit la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime contre le génocide du 9 décembre 1948 ainsi que l'art. 6 du statut de Rome.
La première question à élucider pour le Tribunal est de savoir si la loi pénale contre la discrimination raciale suisse punit uniquement les génocides reconnus par une Cour internationale. En recourant à une interprétation littérale de l'Art. 261bis CP, on constate que ce dernier parle de génocide en général, sans préciser s'il doit être reconnu par une Cour de justice internationale ou non.
Si on se réfère au Bulletin officiel du Conseil national, en vue de l'interprétation historique, on constate que le législateur s'est explicitement référé à la Convention internationale pour la répression du crime et du génocide du 9 décembre 1948 en citant, à titre dexemple, le génocide des Kurdes et des Arméniens. On peut donc retenir qu'historiquement, le génocide des Arméniens a servi d'exemple au législateur lors de ses travaux visant à l'élaboration de l'Art. 261bis CP. Ce faisant, le législateur a voulu montrer quil nétait pas nécessaire que le génocide soit reconnu par une Cour internationale de justice pour être condamnable. Ce vaste champ d'application a été confirmé sans équivoque par le Conseil national qui a corrigé le texte français en remplaçant «le génocide» par «un génocide». La doctrine est également du même avis.
Le Tribunal admet que le génocide des Arméniens est un fait historique avéré.
Lors de l'enquête et des débats concernant ce cas, l'accusé a dit être au courant que la Suisse, au même titre que de nombreux autres pays, reconnaissait le génocide des Arméniens.
En considération de tous ces faits, l'accusé remplit toutes les conditions subjectives et objectives pour tomber sous le coup de l'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase. Par conséquent, le Tribunal constate qu'il doit être condamné pour discrimination raciale.
Pour ces motifs, le Tribunal condamne l'accusé à une peine de 90 jours-amende avec sursis. Le montant du jour-amende étant fixé à CHF 100.-, le total s'élève donc à CHF 9'000.-. Le Tribunal condamne en outre l'accusé à une amende de CHF 3'000.-. Il devra également payer à l'association Suisse-Arménie une indemnité pour tort moral de CHF 1'000.- et lui verser CHF 10000 pour le remboursement des dépenses pénales. Finalement l'accusé devra supporter les frais de la cause.
La 1ère instance condamne l'accusé à une peine de 90 jours-amende avec sursis, fixé à CHF 100.- par jour, soit CHF 9'000.- au total, et à une amende de CHF 3'000.-. Il devra également payer à l'association Suisse-Arménie une indemnité pour tort moral de CHF 1'000.- et lui verser CHF 10000 pour le remboursement des dépenses pénales. L'accusé devra supporter les frais de la cause.
Décision 2007-027N
La 2ème instance constate que l'Art. 261bis CP concrétise en droit interne l'engagement pris par la Suisse lors de la signature de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 (CDR). L'origine conventionnelle de l'article 261bis CP s'inscrit dans la tendance actuelle à intégrer en droit interne des dispositions issues de textes internationaux. La particularité de la norme suisse contre la discrimination raciale réside cependant dans le fait que le législateur national ait décidé, s'agissant notamment du génocide ou d'autres crime contre l'humanité, d'aller au-delà des minima fixés par la CDR.
La notion de génocide est désormais définie par l'article 264 CP. Cette définition doit guider le juge chargé d'appliquer l'article 261bis CP, al. 4. Le législateur a clairement consacré une conception élargie du révisionnisme, l'Art. 261bis CP, al. 4 ne visant pas exclusivement la négation des crimes contre l'humanité commis par le régime national-socialiste. Ce vaste champ d'application a été confirmé sans équivoque par le Conseil national qui, en deuxième lecture, a corrigé le texte français en remplaçant «le génocide» par «un génocide». A cet égard, le législateur a justifié cette modification par le fait que le texte légal devait s'appliquer à tous les génocides qui peuvent se produire.
Le Tribunal constate que le génocide des Arméniens étant un fait historique reconnu par le législateur lui-même, on ne se trouve pas ici dans un cas exceptionnel qui requerrait une instruction très large et une approche historique pour déterminer l'existence dun génocide.
Pour sa part, le recourant a tenté de justifier ses prises de positions en les situant sur le terrain du respect de la liberté d'expression dans le travail d'historien. Cependant, le Tribunal a jugé l'argumentation du recourant comme essentiellement politique et non historique. La cour de céans a, par conséquent, donné raison au premier juge pour avoir considéré que le but visé par l'accusé s'apparente à des mobiles racistes et nationalistes.
En outre, le recourant a plaidé pour sa libération de toute obligation de verser une indemnité pour tort moral. Ici encore, le Tribunal, constatant que le recourant s'est rendu coupable de discrimination raciale, n'est pas allé dans son sens. La responsabilité civile du recourant est donc engagée.
Le recourant considère également que l'état de fait est lacunaire, en ce sens que le tribunal aurait ignoré les documents produits et les témoignages de certains historiens. Toutefois, s'agissant de la question du génocide arménien, le juge n'a pas à faire uvre d'historien dès lors quau vu des débats parlementaires, son existence est considérée comme avérée.
Le tribunal rejette le recours et confirme le jugement de la 1ère instance.
Le tribunal rejette le recours et confirme le jugement de la 1ère instance.
Décision 2007-076N
Le Tribunal fédéral constate en premier lieu que la formulation de la loi (par l'utilisation de larticle indéfini «un génocide»), ne fait expressément référence à aucun événement historique précis. L'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase n'exclut donc pas le fait de réprimer la négation dautres génocides que celui commis par le régime nazi. Il ressort ainsi clairement des travaux préparatoires de l'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase que celui-ci ne vise pas exclusivement la négation des crimes nazis mais également celle d'autres génocides.
Le Tribunal fédéral relève que la volonté de combattre les opinions négationnistes et révisionnistes en relation avec l'holocauste a certes constitué un élément central dans l'élaboration de l'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase. La doctrine et la jurisprudence ont déduit du caractère notoire, incontestable ou indiscutable de l'holocauste ; celle-ci n'a donc plus à être prouvée dans les procès pénaux.
Le Tribunal fédéral constate que le génocide arménien constitue l'un des exemples «classique» dans la littérature générale consacrée au droit pénal international, respectivement au niveau de la recherche sur les génocides. Il précise que le choix de certains Etats de ne pas condamner publiquement lexistence dun génocide ou de ne pas adhérer à une résolution condamnant la négation dun génocide peut être dicté par des considérations politiques. Ces considérations n'ont pas forcément une relation directe avec l'appréciation réelle de ces Etats des faits historiques et ne permet pas de remettre en question lexistence dun consensus sur ce point, notamment au sein de la communauté scientifique.
Le Tribunal est du même avis que l'instance inférieure, qui elle-même a donné raison aux autorités cantonales qui ont refusé de souscrire à la démarche du recourant tendant à ouvrir un débat historico-juridique sur le thème du génocide arménien.
La cour constate que, sur le plan subjectif, les infractions sanctionnées par l'Art. 261bis CP, al. 4, 2ème phrase doivent supposer un comportement intentionnel, dicté par des mobiles racistes. Du point de vue du Tribunal, la communauté arménienne constitue un peuple, soit tout au moins une ethnie. Il s'ensuit que la négation du génocide arménien constitue une atteinte à l'identité des membres de cette communauté. Le Tribunal correctionnel, qui a retenu l'existence de mobiles s'apparentant au racisme a par ailleurs exclu que la démarche du recourant soit fondée sur des motivations historiques.
Le recourant a aussi invoqué la problématique de la liberté d'expression dans le débat historique. Cependant, le Tribunal constate qu'il connaissait l'existence de la norme pénale contre la discrimination raciale sanctionnant la négation d'un génocide. Le Tribunal note que le recourant ne conteste ni l'existence des massacres ni celle des déportations qui ont eu lieu. Malgré cela, il a déclaré que, même si une commission neutre affirmait que le génocide des Arménien a bel et bien eu lieu, il ne changerait jamais de position sur cette question. Le Tribunal fédéral déduit de ces éléments que le recourant n'ignorait pas qu'en qualifiant le génocide arménien de «mensonge international» et en déniant explicitement aux événements de 1915 la qualification de génocide, il s'exposait en Suisse à une sanction pénale. Le recourant a tenté, par une démarche provocatrice, d'obtenir des autorités judiciaires suisse une confirmation de ses thèses. Le Tribunal constate, par conséquent, que la condamnation du recourant tend à protéger la dignité humaine des membres de la communauté arménienne.
Le recourant n'obtient pas gain de cause. Le Tribunal fédéral rejette le recours.
Le Tribunal fédéral rejette le recours.