Cas 1997-017N
Genève
Historique de la procédure | ||
---|---|---|
1997 | 1997-017N | L'autorité de poursuite compétente condamne les deux accusés. |
1998 | 1998-003N | La 1ère instance admet partiellement le recours d'un des condamnés. |
2000 | 2000-021N | La 2ème instance admet le recours du condamné. Acquittement. |
2000 | 2000-040N | Le Tribunal fédéral (Cour de cassation pénale) rejette le pourvoi en nullité interjeté par le Procureur général du Canton de Genève contre la décision de la 2ème instance. |
2000 | 2000-038N | Le Tribunal fédéral (Cour de cassation pénale) déclare irrecevable le pourvoi en nullité interjeté par une association internationale et deux autres personnes contre la décision de la 2ème instance. |
Critères de recherche juridiques | |
---|---|
Acte / Eléments constitutifs objectifs | Négation d'un génocide (al. 4 2ème phrase) |
Objet de protection | Ethnie |
Questions spécifiques sur l'élément constitutif | Bien juridique protégé; Publiquement (en public); Elément constitutif subjectif de l'infraction |
Mots-clés | |
---|---|
Auteurs | Acteurs du secteur tertiaire |
Victimes | Juifs |
Moyens utilisés | Propagation de matériel raciste |
Environnement social | Art et science |
Idéologie | Antisémitisme; Révisionnisme |
Deux librairies genevoises vendaient plusieurs exemplaires de «ouvrage «Les Mythes fondateurs de la politique israélienne» de Roger Garaudy. Il s'agissait de littérature révisionniste et négationniste. L'autorité de poursuite a condamné les deux accusés au paiement d'une amende de Fr. 3'500.-- / 5'000.--.
La 1ère instance, statuant sur opposition, a condamné X (2) pour discrimination raciale (Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP), à Fr. 1'000.-- d'amende avec délai de radiation de deux ans. La 1ère instance a par ailleurs réservé les droits des parties civiles, soit l'association internationale et les particuliers O et C, conformément aux conclusions prises par ces derniers.
La 2ème instance admet l'appel de X contre ce jugement et le libère du chef d'accusation de discrimination raciale. En outre, elle dénie la qualité de partie civile à l'association internationale et aux particuliers O et C.
L'association internationale, O et C se pourvoient en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Celui déclare tous les recours interjetés irrecevables.
D'ailleurs, le Procureur général du canton de Genève se pourvoit en nullité contre le même arrêt en invoquant la violation de l'Art. 261bis CP. Il soutient que la condition d'avoir agi publiquement au sens de l'Art. 261bis al. 4 est remplie. Le Tribunal fédéral rejette ce recours ; selon lui, le libraire qui n'en détient qu'un nombre limité d'exemplaires, les conserve à l'abri des regards, n'en fait aucune réclame et ne les vend qu'à la requête des clients, n'agit pas publiquement au sens de cet article.
Début 1996, Roger Garaudy publie à Paris, à compte d'auteur, un pamphlet qu'il intitule «Les Mythes fondateurs de la politique israélienne». Sous prétexte d'un combat intellectuel contre l'intégrisme sioniste, l'auteur consacre une partie essentielle de son ouvrage à un soutien systématique, bien que non avoué, des thèses révisionnistes et négationnistes relatives à la politique du troisième Reich à l'égard des juifs. Dans deux chapitres en particulier («Le mythe de la justice de Nuremberg ", p. 91 ss et «Le mythe des six millions [L'Holocauste]", p. 151 ss), Roger Garaudy s'emploie à réfuter l'importance du nombre de juifs victimes du nazisme, à contester qu'Hitler et les dirigeants nazis aient eu la volonté d'exterminer le peuple juif, à nier l'existence des chambres à gaz et à démontrer, en résumé, que «l'Holocauste» ne serait en réalité qu'une création du «Shoah business», qu'une fiction imposée par l'intérêt des leaders sionistes, avec la complicité des pays qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale, se sont alliés contre l'Allemagne.
La publication de ce libelle déclenche immédiatement une vague d'indignation, dont la presse se fait un très large écho. En mars 1996, des poursuites judiciaires sont engagées en France contre Roger Garaudy, lequel est inculpé, en avril, de «contestation de crimes contre lhumanité».
Le premier accusé (1) exploite des librairies à l'enseigne. Dès février 1996, il a passé commande d'une cinquantaine dexemplaires de l'ouvrage de Garaudy. Les ouvrages lui sont livrés à Genève en avril 1996 et il les met en vente dans son magasin.
Le deuxième accusé (2) est le propriétaire d'une librairie. En avril ou mai 1996, il se procure une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage de Garaudy, qu'il met en vente dans son magasin.
En septembre 1996, l'huissier judiciaire se procure sans difficulté un ouvrage auprès desdites librairies. La police en fera de même quelques semaines plus tard. Tous les exemplaires seraient aujourd'hui vendus.
En novembre 1996, la section suisse d'une association internationale active dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme dénonce les faits et dépose plainte à l'encontre des libraires genevois qui ont assuré la distribution du livre de Roger Garaudy.
L'autorité de poursuite et la première instance cantonale condamnent X. La deuxième instance acquitte le condamné. L'association internationale, O et C se pourvoient en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Ainsi, le Procureur général du canton de Genève se pourvoit en nullité contre le même arrêt.
Décision 1997-017N
" A teneur de l'article 261bis CP, en vigueur dès le 1er janvier 1995, doit être puni de l'emprisonnement ou de l'amende celui qui, publiquement, par l'écriture, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité. [...] Les thèses véhiculées par le pamphlet de Roger GARAUDY sont donc très directement visées par la norme réprimant la discrimination raciale, au sens de l'article 261bis CP précité. " (Cons. 1, p. 2)
" La propagation des thèses révisionnistes ou négationnistes n'est punissable que si l'auteur agit 'publiquement', c'est-à-dire qu'il ne se contente pas de diffuser les écrits dans un cercle privé mais qu'il les met à disposition d'un nombre indéterminé de personnes (ATF 111 IV 151 = JdT 1985 IV 147), sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire qu'il obtienne le résultat de convaincre des tiers, une mise en danger étant suffisante. En l'espèce les accusés ont mis en vente les ouvrages litigieux et les ont rendus accessibles à leur clientèle, dans un lieu ouvert au public. Objectivement, leur comportement réalise donc la condition de publicité exigée par l'article 261bis CP. " (Cons. 2, p. 3)
" Toute personne qui, à l'instar de ces deux accusée participe à la propagation de thèses révisionnistes ou négationnistes, est punissable en qualité de coauteur (FF 1992.3. p. 307 en haut). Sur le plan subjectif, il n'est pas nécessaire que le propagateur ajoute sa propre adhésion à ces thèses, pas plus qu'il n'est requis d'établir que ce coauteur serait animé par une motivation raciste (Rehberg, Strafrecht IV, 2ème éd. p. 188 ; Stratenwerth, B.T. II, 4ème éd. p. 171). Il suffit que le propagateur ait conscience du contenu prohibé de la littérature qu'il diffuse et qu'il assure cette diffusion de manière intentionnelle.
En l'espèce, il faut rappeler que, dès sa parution, l'ouvrage de Roger Garaudy a provoqué une polémique débordant largement les frontières du pays d'édition. De très nombreux articles de presse, en France comme en Suisse romande, ont évoqué le contenu de cet ouvrage, insistant plus particulièrement sur les thèses résumées plus haut. De même, la mise en examen de l'auteur par la justice française a été largement annoncée, y compris dans la presse genevoise.
C'est donc dire qu'ils n'ignoraient rien de la substance des " mythes fondateurs de la politique israélienne " et que c'est en toute connaissance de cause qu'ils se sont prêtés à la diffusion publique de ce livre. Leur comportement doit dès lors être sanctionné. " (Cons. 3, p. 3)
Condamnation au paiement d'une amende de Fr. 3'500.-- (2) et Fr. 5'000.-- (1) avec un délai de radiation de 2 ans.
Décision 1998-003N
1. Recevabilité des parties civiles
Selon la jurisprudence et la doctrine, " [...] la qualité de lésé est reconnue au titulaire du bien juridiquement protégé par la disposition pénale violée, en cas d'infraction protégeant un intérêt individuel, ou à la personne qui a subi une atteinte résultant directement du comportement incriminé, en cas d'infraction protégeant la collectivité publique (ATF 117 Ia 135). A côté de cette conception, s'inscrit la définition genevoise de la qualité de lésé, qui exige que la personne ait subi un dommage direct, actuel et personnel, en rapport de causalité adéquate avec une infraction " (Cons. 1a, p. 7). Donc, en principe, selon la 1ère instance, le caractère personnel du dommage écarte toute possibilité pour une personne morale.
" En l'espèce, il est manifeste que [O] et [C] en tant que juifs et parents de proches décédés dans des camps d'extermination nazis, ont été touchés directement par le contenu d'un ouvrage niant l'existence de faits qu'ils avaient constatés eux-mêmes. [...] S'agissant de [l'association internationale] [...], il convient de relever que cette association a pour but de lutter pour le respect de la dignité humaine, contre le racisme et l'antisémitisme [...]. Elle défend en particulier les droits moraux et patrimoniaux de ses membres contre tout racisme, antisémitisme ou xénophobie, ainsi que le droit à l'existence et à la paix des victimes du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie. Elle combat finalement la négation des génocides et l'apologie des crimes contre l'humanité " (Cons. 1b, p. 8). La 1ère instance conclut donc comme suit: " S'agissant d'une disposition nouvelle et dans la mesure où [l'association internationale] a pour but de défendre les droits moraux de ses membres, le Tribunal [1ère instance] s'estime autorisé à s'écarter de la jurisprudence restrictive jusqu'alors adoptée par les instances judiciaires genevoises ". Par conséquent, la 1ère instance retient que la qualité de partie civile de l'association internationale active dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme ainsi que de O et C doit être reconnue.
2. Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP
-L'Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP cherche à réprimer les thèses révisionnistes et négationnistes qui consistent à minimiser le nombre de juifs tués pendant le IIIe Reich, à nier l'existence des chambres à gaz et à soutenir que les juifs ont eu un avantage économique de ces faits (FF 1992 III 308s ). Selon la doctrine " ces thèses représentent une forme de discrimination raciale ; une telle attitude face à cet événement constitue une menace pour la paix publique en raison de la réaction antisémite qu'elle engendre " (Cons. 2a, p. 9).
L'ouvrage de Garaudy réfute l'importance du nombre de juifs victimes du nazisme, nie l'existence des chambres à gaz, conteste la volonté des nazis d'exterminer le peuple juif. Par conséquent le contenu de cet ouvrage tombe, selon la 1ère instance, sous le coup de l'Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP.
- Pour être punissable, l'auteur doit avoir agi " publiquement ". Selon la jurisprudence, devient public tout propos qui parvient à la connaissance d'un grand nombre de personnes sans liens entre elles (ATF 111 IV 151). " Il n'est toutefois pas nécessaire que l'acte ait atteint un nombre indéterminé de personnes. En effet, l'auteur reste punissable s'il s'est adressé à un nombre limité de personnes, le critère déterminant étant de savoir si l'auteur peut encore contrôler le cercle des destinataires de ses déclarations. [...] Une personne qui s'exprime ou qui agit de manière prohibée par l'Art. 261bis CP est punissable si elle peut et doit prévoir que ses propos ou ses actes seront perçus par un nombre indéterminé de personnes " (Cons. 2b, p. 10).
En l'espèce, l'accusé a mis en vente plusieurs exemplaires de l'ouvrage litigieux. Le cercle des acheteurs est limité par le nombre des exemplaires mis en vente, une dizaine selon sa première déclaration, mais, selon la 1ère instance, le libraire n'a toutefois aucune maîtrise sur les personnes susceptibles de lire ce livre et dont le nombre est indéterminé. " [...] Peu importe que l'accusé ait exposé le livre sur l'étalage, l'ait rangé dans sur les rayons ou placé dans un tiroir de sa librairie. Le seul élément déterminant consiste à ce qu'il l'ait remis sans difficulté à plusieurs personnes, [...] " (Cons. 2b, p. 11).
Selon la 1ère instance X a donc agi publiquement ; la seconde condition d'application de l'Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP est réalisée.
3. Intention de l'auteur
L'Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP est un délit intentionnel, c'est-à-dire que la conscience et la volonté de l'auteur doivent porter sur tous les éléments constitutifs de l'infraction: " seul importe en l'espèce le premier élément constitutif, à savoir le caractère négationniste et révisionniste de l'ouvrage de Roger Garaudy " (Cons. 3, p. 12). Suite à la parution dans les journaux d'articles dès le 26 avril 1996, l'attention du public était attirée sur le caractère négationniste de l'ouvrage. X a reconnu qu'il était au courant de cette polémique : " L'accusé a ainsi reconnu le risque d'enfreindre la loi, a tenu ce risque pour possible et a accepté que le résultat se produise. Dans l'hypothèse qui lui est la plus favorable, l'accusé a donc agi à tout le moins par dol éventuel " (Cons. 3, p. 12).
4. Application de l'art. 27 CP
L'art. 27 CP prévoit en matière de délits de presse une responsabilité pénale en cascade. Cette disposition concerne exclusivement la presse (FF 1996 IV 536). Selon l'art. 27 ch. 1 CP, l'auteur de l'écrit est en principe seul responsable: " Si celui-ci ne peut être découvert, ou si la publication a été faite à son insu ou contre sa volonté, l'éditeur ou, à son défaut, l'imprimeur sera puni comme auteur de l'infraction. [...] Il importe en conséquence de limiter cette responsabilité aux seuls participants de l'entreprise interne de presse, soit la rédaction, l'édition, l'impression et la diffusion, à l'exclusion de toute personne extérieure [...]. A ce titre, la responsabilité d'un libraire indépendant n'a jamais été envisagée " (Cons. 4a, p. 13). La 1ère instance cite Hans Schultz qui estime " [...] qu'un délit de presse n'est pas envisageable dans le cadre des art. 135 CP (représentation de la violence) et 197 CP (pornographie) puisque alors il ne s'agit plus de véhiculer des informations, mais de s'en prendre directement aux sentiments du lecteur (Hans SCHULTZ, Die unerlaubte Veröffentlichung : ein Pressedelikt ? , in RPS 108 [1991] 273, 281) " (Cons. 4a, p. 13). Par analogie, selon la 1ère instance, un délit de presse serait ainsi exclu en matière de discrimination raciale.
La 1ère instance retient que l'art. 27 CP ne s'applique pas dans le cas présent. X doit en conséquence être reconnu coupable, à titre d'auteur principal, d'infraction à l'Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP.
5. La liberté de la presse
" La démocratie vit notamment de l'échange des opinions, de leur confrontation et de leur contestation " (Cons. 5, p. 15). La liberté de la presse est un droit fondamental essentiel dans une société démocratique. " Les restrictions aux droits fondamentaux sont toutefois admissibles: elles nécessitent alors une base légale formelle, justifiée par un intérêt public, proportionnée à l'intérêt qui les justifie et ne doivent pas porter atteinte à l'essence même du droit qu'elles entendent limiter " (Cons. 5, p. 15).
" Bien qu'il n'appartienne pas au Tribunal de céans [1ère instance] d'examiner la constitutionnalité d'une loi fédérale, adoptée au surplus en votation populaire [...], il apparaît en l'espèce que la restriction aux libertés fondamentales trouve sa source dans une base légale formelle. L'intérêt public visé réside dans le principe de la dignité humaine sous son aspect du respect de la mémoire. [...] L'essence de la liberté d'opinion est préservée puisque l'incrimination reste circonscrite à des recherches historiques dénuées de sérieux et limitées à des événements précis de l'histoire humaine " (Cons. 5, p. 15).
Finalement, le principe de la proportionnalité doit être respecté: " [...] l'accusé n'a pas mis en vente l'ouvrage dans une perspective critique ; il n'a pas plus averti les acquéreurs du contenu des thèses révisionnistes qu'il contenait. L'accusé s'est contenté de rendre accessible à un nombre indéterminé de personnes une prose niant et minimisant grossièrement le génocide juif durant la deuxième guerre mondiale. Une condamnation pénale modérée pour un tel comportement paraît donc proportionnée à l'intérêt poursuivi par l'Art. 261bis CP [...] " (Cons. 5, p. 16).
La 1ère instance reconnaît X coupable de discrimination raciale (Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP), et le condamne à une amende de Fr. 1'000.--. Elle fixe le délai de radiation de l'amende à 2 ans.
Décision 2000-021N
1. Recevabilité des parties civiles
La 2ème instance examine en premier lieu si O, C et l'association internationale active dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sont ou non habilités à se constituer parties civiles.
Dans un arrêt, le Tribunal fédéral a nié la qualité de lésé de cette association et de deux autres associations, et il a aussi mis en doute la possibilité qu'une personne puisse être lésée à titre individuel en raison de l'infraction en cause (ATF 125 IV 206 cons. 2, p. 210).
La 2ème instance affirme que: " [...] la notion de lésé n'a pas, en droit genevois, une conception plus large que celle admise sur le plan fédéral [...]. Ainsi, seule peut se constituer partie civile la personne lésée par une infraction (art. 12 al. 1 et 25 CPP), soit celle qui subit un dommage actuel, direct et personnel en rapport de causalité adéquate avec l'infraction poursuivie. Il s'agit donc en principe du titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale en cause " (Cons. 2a, p. 10). La 2ème instance continue en disant que, lorsque la norme protège en première ligne l'intérêt collectif et non des droits individuels " [...], un particulier ne peut être considéré comme lésé que si ses intérêts personnels ont été effectivement touchés par les actes incriminés d'une manière faisant apparaître cette atteinte comme une conséquence immédiate et non pas simplement indirecte de l'infraction considérée " (Cons. 2b, p. 10). Il faut alors, selon la 2ème instance, examiner si O et C revêtent la qualité de lésé nécessaire à l'admission de leur constitution de partie civile.
L'Art. 261bis CP intègre une disposition, l'al. 4 2ème phrase, qui vise à combattre les thèses révisionnistes et négationnistes. Le législateur a ainsi voulu que celles-ci " [...] ne soient plus considérées comme des attaques dirigées exclusivement contre la communauté juive, mais comme portant atteinte à la dignité de l'homme en général et qui sont susceptibles de menacer la paix publique ou raciale du fait qu'elles cachent généralement une tendance de propagation raciste et plus précisément antisémite. On conçoit donc difficilement qu'une telle infraction puisse porter une atteinte directe aux intérêts personnels d'un particulier " (Cons. 2j, p. 15). La 2ème instance admet que l'admission comme partie civile apparaît concevable dans des cas particuliers où une personne ou plusieurs personnes sont discriminées en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, " [...] mais ne doit pas être étendue aux situations dans lesquelles l'atteinte est dirigée contre l'ensemble d'une communauté, seule la protection de l'intérêt collectif prévalant alors " (Cons. 2h, p. 14). O et C ne sont, selon la 2ème instance, ni personnellement, ni directement visés par le texte incriminé, de sorte qu'ils ne peuvent se voir reconnaître la qualité de partie civile.
Pour ce qui concerne l'association internationale, la 2ème instance affirme que: " [...] faute d'être personnellement touchée par une infraction, une personne morale, telle une association, voire une autre forme de collectivité, ne peut se prévaloir des lésions subies par ses membres ou par les personnes dont elle a la charge pour se constituer partie au procès pénal, sous réserve des rares exceptions prévues par la loi (cf. art. 217 al. 2 CP et 12 al. 2 CPP [...]) " (Cons. 2d, p. 11). Selon la 2ème instance, la qualité de partie civile ne peut donc pas être reconnue à l'association internationale.
2. Art. 261bis CP
Selon l'Art. 261bis al. 4 2ème phrase CP, l'auteur agissant publiquement, doit avoir nié, grossièrement minimisé ou cherché à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité, en raison de la race, de l'appartenance ethnique ou de la religion des victimes. Cette disposition tend notamment à réprimer les " Auschwitzlügen ": thèses révisionnistes et négationnistes. Le livre de Garaudy réfute l'importance du nombre de juifs victimes du nazisme, conteste qu'Hitler a même eu la volonté d'exterminer le peuple juif et met en doute l'existence des chambres à gaz. " De telles thèses correspondent précisément à ce que le message du Conseil fédéral, la jurisprudence [...] et la doctrine définissent comme le révisionnisme, le négationnisme ou encore les 'Auschwitzlügen'. [...] Il est ainsi établi que le contenu du livre de Roger Garaudy tombe bien sous le coup de l'Art. 261bis al. 4 2ème hypothèse CP " (Cons. 3c, p. 17).
Pour être punissable, l'auteur doit avoir agi " publiquement ", il doit s'adresser à un large cercle de personne, soit à un nombre indéterminé de personnes sans lien entre elles. " S'agissant d'un délit de mise en danger, il n'est en revanche pas nécessaire que l'acte ait effectivement atteint un grand nombre de personnes " (Cons. 4a, p. 17).
" L'auteur reste punissable même s'il s'est adressé à un nombre limité de personnes, le critère déterminant étant alors de savoir si l'auteur peut encore contrôler le cercle des destinataires de ses déclarations " (Cons. 4a, p. 17 s.) .
X a mis en vente une dizaine d'exemplaires du livre de Garaudy: " L'intéressé a toujours affirmé n'avoir jamais exposé celui-ci dans les vitrines de sa librairie, ni effectué une quelconque autre démarche publicitaire pour le vendre [...]. En revanche [X] a admis avoir laissé quelques exemplaires du livre sur les rayons de sa librairie jusqu'en mai 1996 et, compte tenu de la polémique existant au sujet de ce texte, les avoir alors tous retirés des étalages pour les ranger dans un tiroir, tout en les tenant à disposition des personnes désireuses de l'acquérir " (Cons. 4c, p. 19).
Selon la 2ème instance, on ne peut pas considérer qu'un libraire agit publiquement " [...] lorsqu'il ne met pas concrètement un livre en vente dans son commerce, que ce soit en l'exposant sur ses étalages ou en faisant savoir d'une autre manière au public qu'il est disponible chez lui, mais se borne à répondre aux demandes sporadiques de clients qui le commandent expressément " (Cons. 4d, p. 20). La même chose peut être retenue quand un libraire conserve dans un tiroir, donc un endroit non accessible à la clientèle des exemplaires de l'ouvrage, " [...] car on ne peut alors admettre qu'il y a une propagation d'un message propre à influencer un nombre indéterminé de personnes sans lien entre elles " (Cons. 4d, p. 20). La 2ème instance conclut donc que la condition de la publicité n'était plus réalisée dès l'instant où X a retiré l'ouvrage des rayons de la librairie pour le placer dans un tiroir. S'agissant de la période antérieure, la 2ème instance souligne que, " [...] même en admettant que l'accusé a agi publiquement en mettant le livre de Roger Garaudy en vente dans sa librairie, il faudrait alors constater que l'élément subjectif n'est pas réalisé, à savoir la conscience du caractère négationniste ou révisionniste du texte de Roger Garaudy " (Cons. 4e, p. 21). La 2ème instance explique que ce n'est, en effet, que suite à la parution dans la presse de nombreux articles à partir de la fin du mois d'avril 1996 que l'attention du public a été attirée sur le caractère négationniste du livre, et c'est à ce moment-là que X a retiré les exemplaires qu'il possédait des rayonnages pour les placer dans le tiroir, ayant pris conscience que l'ouvrage pouvait enfreindre la loi.
La 2ème instance affirme donc que X n'a pas agi publiquement et elle le libère des fins de la poursuite.
La 2ème instance admet le recours interjeté par X contre le jugement de la 1ère instance. Elle annule ce jugement et, en statuant à nouveau:- dit que O, C et l'association internationale n'ont pas la qualité de partie civile ;- libère X des fins de la poursuite pénale.
Décision 2000-040N
La deuxième instance cantonale a libéré le libraire de l'infraction pour le motif qu'il n'avait pas agi publiquement. C'est cet aspect que le Procureur général remet en cause dans son pourvoi.
Le Tribunal fédéral déclare le pourvoi infondé car «la conjonction du fait qu'aucun visiteur de la librairie ne pouvait tomber sur le livre par hasard, de l'absence de toute réclame par l'intimé et du nombre restreint de livres disponibles amène à conclure qu'il n'a pas agi publiquement». (Cons. 2b dd, p. 235) Pour la période ici litigieuse, les livres étaient rangés dans un tiroir, donc soustraits à la vue des clients, et n'étaient vendus que sur demande expresse.
Le Tribunal fédéral rejette le recours du Procureur général du canton de Genève.
Décision 2000-038N
Le Tribunal fédéral nexamine dans cet arrêt que la recevabilité des parties.
La Cour de cassation constate dabord que dans un de ses arrêts récents (ATF 125 IV 206 cons. 2, p. 210) elle avait nié la qualité pour se pourvoir en nullité de lassociation internationale. Le recours de cette dernière est donc irrecevable.
Pour ce qui concerne les deux autres parties, le Tribunal fédéral leur dénie aussi la qualité de partie et déclare leur recours irrecevable car aucune des conditions requises par lart. 270 al. 1 PPF nest pas remplie. Selon cette disposition, le lésé peut se pourvoir en nullité «sil était déjà partie à la procédure auparavant et dans la mesure où la sentence peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles».
Selon la jurisprudence, la qualité de partie à la procédure auparavant doit être comprise de manière large. Cette condition serait selon Tribunal fédéral réalisée lorsque le lésé, en respectant les règles de la procédure cantonale, a exprimé son opinion sur tout ou partie des décisions à rendre. Encore faut-il, même si la participation doit être largement comprise, quelle sinscrive dans le cadre légal prévu par le droit cantonal. En vertu du droit cantonal de procédure, linstance cantonale de deuxième instance et le Tribunal fédéral en statuant par arrêt sur les recours de droit public déposés par les particuliers O et C- ont nié la qualité de partie civile de ces deux condamnés.
En conséquence, les pourvois interjetés par O et C sont également irrecevables.
Le Tribunal fédéral déclare les pourvois en nullité interjetés par lassociation internationale, ainsi que par O et C irrecevables.