Cas 2017-052N

Texte raciste envers les gens du voyage dans des journaux

Fribourg

Historique de la procédure
2017 2017-052N Le Ministère public prononce qu’il n’est pas entré en matière sur la dénonciation déposée.
Critères de recherche juridiques
Acte / Eléments constitutifs objectifs Abaissement ou discrimination (al. 4 1ère phrase)
Objet de protection Ethnie
Questions spécifiques sur l'élément constitutif Publiquement (en public)
Mots-clés
Auteurs Acteurs collectifs
Victimes Yéniches, Manouches/Sintés, Roms
Moyens utilisés Ecrits
Environnement social Media (Internet inclus)
Idéologie Anti-tziganisme

Synthèse

X a porté plainte contre plusieurs associations patronales pour une annonce le publié en 2017 dans le journal La Liberté, dont le contenu était, selon lui, constitutif de discrimination raciale. Une version alémanique de cette annonce est en outre parue dans les Freiburger Nachrichten.

Le Ministère public prononce qu’il n’est pas entré en matière sur la dénonciation déposée.

En fait / faits

De nombreuses associations patronales ont co-signé une annonce publiée dans les journaux La liberté et les Freiburger Nachrichten.
L'annonce incriminée a la teneur suivante :
« Avec le retour de la belle saison, il est probable que notre canton soit à nouveau le témoin du passage de gens du voyage qui feront halte dans notre région. Sans jugement de valeur aucun sur ce mode de vie et sur l'honnêteté de ce groupe de personnes, les associations professionnelles soussignées se permettent la mise en garde suivante. Nous savons d'expérience que, lors de ces courts séjours, divers travaux d'entretien, de rénovation ou de transformation de mimine importance sont proposées à des particuliers ou autres privés. Ce phénomène est particulièrement connu dans les secteurs de la plâtrerie-peinture, du carrelage et, dans une moindre mesure, la menuiserie-charpente.. Nous nous permettons d'attirer l'attention de la population fribourgeoise sur le fait que bien souvent ces travaux sont réalisés au mépris des prescriptions de sécurité et de protection de l'environnement les plus élémentaires (peinture de façades à l'échelle, décapage de volets dans les champs ou en bordure de cours d'eau ... ). Bien souvent, la bienfacture et la durabilité des travaux réalisés ne sont pas garanties. A contrario, les entreprises-membres des associations professionnelles sont garantes d'un respect des normes de sécurité, d'une utilisation adéquate de substances chimiques homologuées, de l'élimination correcte des déchets éventuels et d'une observation des conditions de travail usuelles de la branche. En plus d'un travail soigné, respectant les devis, nos entreprises assument la couverture des garanties le gales. Plus de 240 entreprises-membres du second-œuvre dans notre canton occupant plus de 3'000 employés qualifiés assurent également la formation de quelque 540 jeunes. Ces entreprises collaborent avec de nombreux fournisseurs locaux et sont fortement impliquées dans la vie socio-culture/le et sportive de nos régions. Nos secrétariats se tiennent volontiers à disposition pour de plus amples informations. (. . .). »
Y (l’un des auteurs) s'est exprimé dans le journal La Liberté en indiquant: « Ces personnes ne respectent aucune mesure de protection de l'environnement ni de sécurité. Et ils cassent les prix». Dans un article des Freiburger Nachrichten, il a en outre indiqué qu'il n'était pas possible de mettre tous les gens du voyage dans le même panier. Il a toutefois signalé un problème de concurrence déloyale, indiquant qu'au vu de la différence des prix, on pouvait constater que quelque chose n'allait pas.

En droit / considérants

Elément constitutifs objectifs
Pour que cette infraction soit réalisée, il faut que les propos aient été tenus publiquement. Cette condition est réalisée en l'espèce, dès lors que l'annonce litigieuse a été publiée dans deux journaux.
La disposition pénale prévoit qu'en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, les personnes sont discriminées. Le terme « gens du voyage » ne désigne ni une race ni une religion.
« Une ethnie correspond à une communauté de personnes qui se sentent différentes des autres et qui sont considérées comme telles. Elles se caractérisent par leur histoire et leur culture, qui comprennent la langue, les traditions, ainsi que les normes de comportement et de valeur. » (Petit commentaire du code pénal, n° 10 ad. Art. 261 bis CP). Les exemples cités par la doctrine sont les Basques, les Tamouls, les Appenzellois, les Allemands du Nord, les Siciliens, mais non les Européens, les habitants du Tiers monde, les punks ou les skinheads. Compte tenu de cette définition, on peut considérer que le terme « gens du voyage » désigne une ethnie.
Biens juridiques protégés
S'agissant des biens juridiques protégés par l'art. 261 bis CP Le Message du Conseil fédéral expose ce qui suit :
« La discrimination raciale représente une menace pour la paix publique, peu importe qu'elle se manifeste sous la forme d'appels à la haine ou à la discrimination, par des atteintes à la dignité humaine ou par le fait de déshonorer la mémoire de personnes défuntes qui appartiennent aux groupes touchés ou sous la forme du refus d'un service offert publiquement. Il est vrai que de façon concrète l'auteur s'en prend toujours à la dignité humaine des individus du groupe touché».
À propos de la structure de l'article, le Message indique :
« Les principaux modes de commission du délit se présentent dès lors de la manière suivante:
· la propagande raciste au sens large du terme (1er à 3e al.);
· l'atteinte à la dignité humaine (4e al.);
· le refus d'un bien ou service offerts publiquement (5e al.). »

Concernant l'incitation à la haine ou à la discrimination, le Message indique :
« Au moyen de cette formule, on veut indiquer que l'action méthodique et ciblée est un élément constitutif du délit. Ce n'est pas toute manifestation de mauvaise humeur envers les étrangers qui doit être punissable, mais seulement l'abaissement et la calomnie systématiques ». « Les 1er et 2e alinéas visent la propagande raciste au sens large, à savoir l'influence exercée sur un Public plus ou moins nombreux dans le but d'exciter celui-ci contre certaines personnes ou certains groupes de personnes. On arrive ainsi à une anticipation de la protection pénale à l'égard de la persécution raciale et du génocide. » (mise en évidence ajoutée). En outre, il ressort de la jurisprudence qu'il convient de se montrer restrictif s'agissant de l'interprétation de cette norme (ATF 131 IV 23 JdT 2006 IV 88): (...) Au moment d'interpréter l'Art. 261bis CP il faut tenir compte de la liberté d'expression. En particulier, il faut prendre en considération que (...), les propos concernant des questions politiques et des problèmes de la vie publique revêtent une importance particulière. Dans une démocratie, il est primordial de pouvoir défendre des points de vue qui déplaisent à une majorité et qui sont choquants pour de nombreuses personnes. La critique doit être admise dans une certaine mesure et parfois aussi sous une forme outrancière. Car dans les débats publics, il n'est souvent pas possible dès le départ de différencier clairement la critique fausse de la critique à demi fausse et de la critique justifiée. Si, par le biais d'une interprétation extensive des dispositions du droit pénal, on pose des exigences strictes quant à des propos critiques, le danger existe qu'une critique fondée ne puisse plus non plus être formulée.
En l'occurrence, l'annonce incriminée contient uniquement des considérations sur la qualité du travail fourni par les gens du voyage. Il est tout à fait légitime de s'interroger sur l'opportunité de publier une annonce de ce type, qui se réfère explicitement à un critère de démarcation douteux. L'utilisation de cette distinction, fondée uniquement sur l'appartenance ethnique, apparaît en effet très choquante et peut difficilement se justifier.
Cependant, le fait de constater qu'un comportement est éthiquement ou moralement contestable ne signifie pas pour autant qu'une infraction pénale est réalisée. Il convient en effet, dans un Etat de droit, au sein duquel la liberté d'expression est primordiale, de limiter la répression aux comportements inacceptables.
En introduisant l'Art. 261bis CP, le législateur a prévu que seuls les propos qui constituent une véritable atteinte à la dignité des personnes tombent sous le coup de l'énoncé légal de cette disposition.
Or, le fait de décréter que, dans le cadre des activités artisanales qu'ils exercent, les gens du voyage ne respectent pas les prescriptions de sécurité et de protection de l'environnement et que la bienfacture et la durabilité des travaux réalisés ne sont pas garanties ne constitue à l'évidence pas une atteinte à la dignité humaine de ce groupe de population. Ces propos ne constituent pas un appel à la haine, ni une propagande idéologique raciste.
Par conséquent, bien que son contenu soit critiquable, cette annonce n'est pas constitutive de discrimination raciale, au sens de l'art. 261 bis CP phrases 1 à 3.
Compte tenu de ce qui précède, la publication de l'annonce n'est à fortiori pas non plus susceptible de tomber sous le coup de l'Art. 261bis CP 4ème phrase.
La jurisprudence se montre en effet extrêmement restrictive sur les propos susceptibles d'être condamnés sur cette base. Cet arrêt récent illustre bien cette approche restrictive (consid. 3.2) : « L'affirmation contenue en premier lieu dans le communiqué du recourant, selon laquelle, en Suisse les immigrants du Kosovo, entre autres, sont des criminels et excessivement souvent préts à faire preuve de violence, jette un éclairage défavorable sur le groupe humain concerné. Ce propos en lui-même ne le fait cependant pas apparaître de manière générale comme étant de valeur inférieure ; bien plus, le terme « entre autres » signifie que d'autres ethnies en suisse sont aussi criminelles et prêtes à faire preuve de violence de manière excessive. L'affirmation présentée par le recourant est fondée sur des éléments objectifs, soit sur les rapports réguliers sur la sécurité intérieure de l'Office fédéral de la police où il est exposé, (...) que la Suisse est fortement touchée par les activités criminelles d'Albanais d'origine qui dominent notamment le trafic d'héroïne. Dans la doctrine, il est également admis que, s'agissant de l'information sur la participation d'un groupe humain à la criminalité d'un pays, sur son penchant particulier à la commission d'infractions, il n'y a pas d'abaissement violant les droits de l'homme, même si un climat hostile envers ses membres est créé de cette manière. » (A TF 131 IV 23, JdT 2006 IV 88).
Par conséquent, dès lors que le Tribunal fédéral se montre aussi restrictif dans l'application de cet article, même quand les propos portent sur la propension d'une ethnie à adopter des comportements violents, il semble évident que les critiques qui portent uniquement sur le fait de ne pas respecter des prescriptions professionnelles sur les règles de l'art et la protection de l'environnement ne tombent pas sous le coup de l'Art. 261bis CP.
Eléments constitutifs subjectifs
Sur le plan subjectif, le comportement réprimé par l'art. 261 bis CP doit être intentionnel et dicté par des mobiles de haine ou de discrimination raciale.
« A notre avis, il faut 'être strict sur l'exigence d'un mobile discriminatoire ; l'acte doit s'expliquer principalement par l'état d'esprit de l'auteur, qui déteste ou méprise les membres d'une race, d'une ethnie ou d'une religion. Ce n'est que de cette manière que l'on peut répondre de manière convaincante aux réticences exprimées par une partie importante de la population lors de l'adoption de cette norme pénale. » (COIRBOZ, Les infractions en droit suisse, n° 37 ad Art. 261bis CP}. (mise en évidence ajoutée)
Dans le cas de l'annonce publiée dans La Liberté et dans les Freiburger Nachrichten, il apparaît que les auteurs ont cherché à se protéger d'une concurrence qu'ils jugeaient déloyale. Il ressort clairement du texte de l'annonce que le but des auteurs n'était pas d'appeler la population à détester ou mépriser les gens du voyage, mais seulement de les inciter à préférer leurs propres services à ceux proposés par les gens du voyage. La condition subjective de l'art. 261 bis CP n'est donc pas non plus réalisée en l'espèce.

Décision

Compte tenu de toutes les considérations, les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas remplis (art. 310 al. 1 lit a CPP), de sorte qu'il n'y a pas lieu de donner d'autres suites à la procédure.
Le Ministère public prononce qu’il n’est pas entré en matière sur la dénonciation déposée.