Cas 2023-060N

Exploitation d’un enregistrement comme moyen de preuve

Vaud

Historique de la procédure
2023 2023-060N Le recours est admis et l’ordonnance du Ministère public central réformée en ce sens que l’enregistrement de l’appel téléphonique est admis comme moyen de preuve.
Critères de recherche juridiques
Acte / Eléments constitutifs objectifs Art. 261bis CP / 171c CPM (aucune spécification des éléments constitutifs)
Objet de protection
Questions spécifiques sur l'élément constitutif
Mots-clés
Auteurs Employés du service public
Victimes Personnes noires / PoC
Moyens utilisés Déclarations orales
Environnement social Autorités / administration / armée
Idéologie Racisme (couleur de peau)

Synthèse

D. a enregistré une conversation discriminatoire avec un fonctionnaire. Le Ministère public a considéré cette preuve comme non-exploitable. D. fait recours contre cette décision.

Le Tribunal admet le recours. Dans la mesure où les éléments constitutifs de l'infraction visée à l'article 261bis CP pourraient être réunis, une conversation téléphonique enregistrée en tant que moyen de preuve légal ne peut pas être qualifiée d'incompatible avec le Code de procédure pénale dès la phase d'instruction.

En fait / faits

D. a déposé une plainte pénale contre le policier Z., qui l’avait appelé au sujet de la plainte pour escroquerie qu’il avait déposée une semaine plus tôt à l’encontre des déménageurs qu’il avait mandatés pour transporter des meubles et des effets personnels à sa famille habitant le Cameroun ; le plaignant reprochait au policier d’avoir, à la fin de leur conversation, et sans avoir raccroché le combiné téléphonique, parlé de lui en ces termes : « Ce sont des blacks, c’est une affaire d’Africains …ils font à l’africaine …cela m’énerve … il croit que la police s’occupe de ça… » ; il déclarait s’être senti humilié et dénigré ; il sollicitait que la conversation soit « écoutée à des fins d’enquête».

Le Ministère public a considéré l’enregistrement comme non-exploitable car, même à supposer que les faits fussent constitutifs de discrimination et d’incitation à la haine au sens de l’Art. 261bis CP, les autorités pénales n’auraient pas pu recueillir cet enregistrement de manière licite, faute de soupçons laissant présumer qu’une telle infraction puisse être commise.

En droit / considérants

Comme l’enregistrement de l’appel téléphonique litigieux est une preuve récoltée par une personne privée – en l’espèce le plaignant – à l’insu de son interlocuteur, elle n’est exploitable selon la jurisprudence que si, cumulativement, cet enregistrement aurait pu être obtenu par les autorités de poursuite pénale conformément à la loi et si une pesée des intérêts en présence justifie son exploitation. En tout état de cause, au stade de l'instruction, il convient de ne constater l'inexploitabilité de ce genre de moyen de preuve que dans des cas manifestes.

Il reste à déterminer si, au terme d’une pesée des intérêts en présence, le Ministère public pouvait d’emblée, et à ce stade très précoce de l’enquête, considérer que la preuve n’était pas exploitable. Tel n’est pas le cas. En effet, comme le Tribunal fédéral exige de prendre en considération toutes les circonstances concrètes du cas, et que les faits n’ont pas été instruits, il est difficile de se prononcer à ce stade. Avec le Ministère public, il faut considérer que si les propos qui ont été tenus ne relèvent que de l’infraction d’injure, la gravité exigée par l’art. 141 al. 2 CPP ne peut pas être atteinte. En revanche, si c’est l’infraction de discrimination raciale qui devrait être envisagée, il n’est pas possible de dire – sans instruction sur les propos en cause – qu’il est manifeste que le cas ne revêtirait pas la gravité exigée.

Décision

Le recours doit être admis et l’ordonnance du Ministère public central réformée en ce sens que la clé USB contenant l’enregistrement de l’appel téléphonique effectué par le recourant est admise comme moyen de preuve et versée au dossier de la cause.