Auteure
Ursula Schneider Schüttel est la présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR)
La polarisation de notre société s’est accentuée. Le débat politique se durcit et devient plus polémique. On observe plus de positions incompatibles, qu’elles soient de droite ou de gauche ; du noir et blanc sans aucune nuance de gris. Cette polarisation des avis, je l’observe également dans les médias. Sur les réseaux sociaux aussi, l’heure n’est décidément plus à la nuance. Et le phénomène touche toujours plus de domaines.
Voilà l’impression qui se dégage. Mais est-ce vraiment la réalité ? Quels sont les causes et les effets de la polarisation ? Quel est l’impact de la polarisation du débat public sur la lutte contre le racisme et la discrimination ? Telles sont les questions auxquelles la présente édition de Tangram tente de répondre, avec plusieurs experts de différents horizons qui abordent les multiples facettes de la polarisation.
Parmi les principaux facteurs de cette dernière, on trouve notamment la fragmentation du paysage médiatique et l’influence des réseaux sociaux. Les bulles de filtres des algorithmes renforcent encore les opinions existantes et empêchent toute confrontation avec d’autres perspectives. Cet isolement appauvrit le dialogue et entrave la compréhension de l’Autre, favorisant la défiance et l’hostilité à son égard. Pour la lutte contre le racisme, cela signifie que non seulement les préjugés et les fake news ne disparaissent pas, mais qu’ils sont même souvent amplifiés.
Les affirmations polémiques et polarisées recueillent souvent davantage d’attention. J’en ai fait l’expérience dans ma fonction politique. Les positions nuancées ont souvent du mal à percer. Pourtant, notre démocratie ne se nourrit pas des luttes pour le leadership de l’opinion et de la simple opposition « pour »/« contre ». Bien au contraire : elle vit du dialogue constructif, des discussions ouvertes, du débat et de la recherche de compromis et de consensus. Le cas échéant, l’opposition primaire « oui »/« non » n’intervient que tout à la fin, par exemple lors des votations populaires.
Je suis convaincue que notre société n’existe que grâce à la capacité de chacun à se forger une opinion en écoutant différents avis et à avoir un avis nuancé. Impossible de garantir la cohésion de la société lorsque le quotidien est régi par les opinions polarisées et polémiques. Lorsque chacun campe sur ses positions. Lorsque plus personne ne va vers l’Autre ni ne cherche à le comprendre. L’ouverture vis-à-vis de la différence et la capacité à éprouver de la solidarité ou de l’empathie pour ses semblables sont les piliers d’une société qui fonctionne.
La polarisation croissante du débat public peut constituer un risque et menacer les avancées de la lutte contre le racisme. Quand le débat renforce les positions extrêmes, il n’y a plus d’entre-deux ni de compréhension mutuelle. Des expressions comme « wokisme », « cancel culture » ou encore « appropriation culturelle » servent souvent à creuser encore les différences au lieu de permettre des discussions constructives. Il convient d’être plus vigilant, de permettre les discussions équilibrées et de promouvoir le vivre ensemble. La démocratie suisse, qui repose sur la concordance et le consensus, propose un précieux modèle que nous devons conserver et adapter aux défis modernes pour continuer à avancer dans le combat contre le racisme.
Ce dernier a besoin d’une société largement soudée, où chacun a sa place et se sent à sa place. La polarisation du débat public est un obstacle majeur. Il est essentiel de prendre conscience qu’il n’est pas possible de lutter contre le racisme tout en creusant des fossés entre les gens. Nous devons bien plus construire des ponts entre les différentes communautés, car la cohésion sociale est le terreau de la sensibilisation à toutes les formes de racisme. Nos institutions démocratiques jouent un rôle fondamental en garantissant cette cohésion ; contre la polarisation, il est primordial de les protéger et de les renforcer.
Bonne lecture !