Auteure
Nora Refaeil est avocate et spécialiste des processus de médiation et de transformation. Elle est vice-présidente de la CFR. nora.refaeil@gmail.com
Entretien réalisé par Theodora Peter
La polarisation conduit un groupe à vouloir en dominer un autre. Au lieu d’opposer ses forces, la société devrait chercher à les unir. Pour Nora Refaeil, avocate et médiatrice, il faut créer des conditions propices à des approches collaboratives.
En tant que médiatrice, vous intervenez dans les conflits. Face à la polarisation croissante, la médiation peut-elle renforcer la capacité à dialoguer de la société ?
Nora Refaeil: Avant toute chose, penchons-nous sur les deux notions dont il est ici question. La médiation est un processus par lequel un tiers neutre aide deux parties (ou plus) à résoudre un conflit. Elle intervient lorsque le dialogue est rompu. Le rôle du médiateur est d’aider les parties à communiquer en focalisant leur attention sur les véritables points de désaccord et en cherchant des solutions qui tiennent compte des intérêts de chacun afin de trouver une issue au conflit. La question de l’impartialité a toutefois pris une nouvelle dimension ces dix dernières années, notamment avec le discours sur le sexisme et le racisme structurels. Ces deux phénomènes créent un tel déséquilibre qu’on peut se demander si la médiation peut et doit rester impartiale lorsqu’ils interviennent.
La polarisation est le processus qui conduit à prendre parti. Elle se manifeste lorsque des personnes adoptent, individuellement ou collectivement, des positions de plus en plus extrêmes et qu’un fossé se creuse entre elles. Il en résulte une rhétorique du « nous contre les autres », qui menace les intérêts communs et individuels au lieu de les défendre. Chaque groupe se définit par son opposition à un ennemi commun, qu’il réduit à des stéréotypes en déformant la réalité. La confiance et le respect mutuels baissent ; les positions se durcissent jusqu’à empêcher tout dialogue. Le débat laisse place au conflit. Chacun veut l’emporter, même si cela suppose de violer des normes sociales comme l’honnêteté et d’enfreindre les règles par des actes de violence.
La polarisation se solde donc par un bras de fer au sein de la société, qui se retrouve à opposer ses forces au lieu de les unir. C’est pourquoi il est important de créer les conditions propices à des approches collaboratives, qui passent par une définition commune du problème et des objectifs à atteindre. Le succès des sociétés démocratiques en dépend.
Dans le cadre de mon travail, je constate que ce que nous percevons comme une « polarisation de la société » influence les opinions, les attentes et les attitudes entre les personnes et entre les groupes. La polarisation a donc un impact direct sur notre quotidien.
Comment pouvons-nous utiliser concrètement les méthodes et les expériences de la médiation? Y a-t-il des exemples et des idées d’initiatives?
Il est important dans ce contexte de déterminer le degré de polarisation et de savoir à quel niveau se situe le conflit. S’agit-il d’un problème entre personnes, entre groupes, ou plus largement d’une polarisation de la société ? Les moyens à mettre en œuvre dépendent de ces paramètres.
Avec le temps, la médiation s’est considérablement diversifiée et couvre aujourd’hui un spectre allant de la recherche classique d’une solution « gagnant-gagnant » à la médiation transformative en passant par d’autres méthodes. C’est pourquoi je considérerais la médiation au sens large et parlerais plutôt d’un répertoire d’approches, parmi lesquelles on peut citer la désescalade, l’écoute active, le dialogue, ou encore le coaching des groupes dominés. Pour obtenir des effets à plus grande échelle, il est du reste essentiel de miser sur des outils de promotion de la paix, de réfléchir de manière systémique et de tenir compte de la complexité de la question. Selon le niveau où l’on se trouve, il faut puiser dans toutes ces ressources pour faire un pas en avant.
En d’autres termes, plus le sujet est complexe, plus les modes d’intervention le sont. Nous devons nous attaquer aux structures qui favorisent la polarisation et aux éléments qui nourrissent le problème. Pour sortir de la polarisation politique et du mépris politique de l’autre, nous devons apprendre à déjouer ces éléments et à y échapper, tant au niveau interpersonnel que de la société tout entière.
En ce qui concerne le racisme, cela signifie que nous devons nous pencher sur les facteurs qui nourrissent l’exclusion, les inégalités en matière d’accessibilité ou de représentation ainsi que d’autres injustices. Par ailleurs, il faut identifier les facteurs susceptibles de générer un changement systémique vers plus d’équité. Cela s’applique d’ailleurs aussi bien aux conflits liés au racisme et à l’exclusion qu’aux questions de changement climatique, de santé et de système politique. Ce travail va bien plus loin que la médiation classique, mais il fait partie intégrante du processus de règlement des conflits.
Dans le cadre de sa politique climatique, l’Union européenne s’appuie par exemple sur la médiation pour développer des méthodes qui facilitent la prise de décision et des procédures qui permettent de résoudre les conflits.
La polarisation s’accompagne souvent d’un repli sur soi. Alors comment permettre aux camps opposés d’avoir un échange constructif et de mieux se comprendre ?
D’après mon expérience, on cherche souvent trop vite à instaurer un échange soi-disant constructif entre des groupes opposés. En général, cela ne fonctionne pas. C’est au sein de chaque groupe qu’il faut d’abord intervenir, en entreprenant un travail sur les opinions, les attitudes et les valeurs qui le caractérisent. Cela prend du temps, mais c’est un processus important.