TANGRAM 34

Rire des « Autres » : la toute-puissance de l’anti-politiquement correct

Résumé de l’article
«Das Lachen über die «Anderen»: Anti-Political-Correctness als Hegemonie» (allemand)

Auteur

Sociologue et socio-anthropologue, Rohit Jain a rédigé, à l’Université de Zurich, une thèse portant sur les processus de subjectivation transnationaux des Indiennes et Indiens de seconde génération vivant en Suisse. Il a également publié divers ouvrages sur les émissions de variétés et le racisme ainsi que sur la marchandisation de l’exotisme indien dans la Suisse postcoloniale. Rohit Jain est le co-président de la Fondation Gertrud Kurz à Berne.
rohit.jain@uzh.ch

L’humour permet de mettre des mots sur des expériences ou des atmosphères ambivalentes et pour lesquelles il n’existe ni conventions ni modèles sociaux. Dans un contexte de migration et de mutation sociale, les pratiques humoristiques ont toujours joué un rôle important pour (r)établir la hiérarchie entre soi et l’autre, voire pour donner lieu à de nouvelles relations dépassant les frontières. Mais certaines questions se posent : quand l’humour permet-il de créer des liens et quand a-t-il pour effet d’exclure les autres ? Qui a le droit de rire des autres et qui se voit obligé d’accepter que l’on rie de lui ?

Le présent article se veut le reflet, du point de vue des sciences sociales et culturelles, de la politique suisse des vingt dernières années en matière d’humour et de racisme. Il s’intéresse en particulier aux dessins humoristiques qui circulent dans les médias, dans les milieux politiques et dans la vie quotidienne ainsi qu’à la façon dont ils modifient les hiérarchies entre soi et l’autre en Suisse.

Selon cet article, l’humour en Suisse est devenu à la fois une plateforme stratégique et une pratique quotidienne visant à consolider la supériorité de la société dominante du pays. Si, dans la lutte pour le droit au rire, on met fréquemment en avant des valeurs nobles telles que la liberté d’expression ou la satire contre le politiquement correct et sa prétendue pruderie, le recours persistant aux « bonnes vieilles plaisanteries » ne contribue que trop souvent à renforcer l’auto-affirmation nationaliste et à légitimer le racisme.

Pour que l’humour incite comme il se doit au changement et à la critique, il est impératif de veiller à sa pluralisation institutionnelle et à sa démocratisation et de s’assurer de sa nature critique envers le racisme.