TANGRAM 47

Sur les traces coloniales dans les villes suisses

Theodora Peter

La période coloniale a laissé des traces visibles et invisibles en Suisse. Dans plusieurs villes, il est possible de découvrir les diverses facettes d’une histoire longtemps refoulée, grâce à des visites guidées ou tout simplement avec un plan de ville numérique et un audioguide.

Sur de nombreuses fontaines et rebords de fenêtres, la vieille ville de Berne est ornée de géraniums rouge vif. L’annuel Graniummärit (marché aux géraniums) fait partie des traditions de la capitale. De fait, l’emblématique fleur des balcons suisses est pourtant originaire de l’Afrique du Sud. Les pélargoniums sont arrivés en Suisse depuis Le Cap par l’intermédiaire de mercenaires bernois qui entretenaient des relations étroites avec le pouvoir colonial hollandais. La tour hollandaise située à la Waisenhausplatz est un autre symbole des relations que la Suisse entretenait avec le colonialisme. Alors que les touristes peuvent aujourd’hui y manger des pizzas, la tour était un lieu où se réunissaient autrefois des officiers bernois et hollandais pour fumer du tabac, une habitude prise dans les colonies. De manière générale, le patriciat bernois entretenait de bonnes relations commerciales avec les sociétés coloniales néerlandaises.

Le président de la fondation Cooperaxion Karl Johannes Rechsteiner conte cette histoire et tant d’autres lors d’une visite guidée proposée dans la ville de Berne. Depuis quinze ans déjà, la fondation s’intéresse aux implications coloniales de la Suisse le long des routes du commerce d’esclaves. Les visites de la ville font partie du travail éducatif de l’organisation non gouvernementale. Dans l’intervalle, l’équipe de M. Rechsteiner a élargi son offre de visites de Berne à Thoune, Neuchâtel et Fribourg. Cooperaxion participe également à des campagnes et à des manifestations dans d’autres villes. L’intérêt pour les visites guidées s’est fortement accru depuis le mouvement Black Lives Matter en 2020, constate M. Rechsteiner. Désormais, il anime des visites à un rythme presque hebdomadaire. Les visites sont prisées par les écoles, les syndicats, les services publics, les entreprises et les particuliers. Réunissant un total de mille participants, les visites guidées ont connu une affluence record en 2022.

L’historien, cabarettiste et militant politique Hans Fässler fait également partie des pionniers du travail éducatif contre le racisme. Il propose différents circuits à Saint-Gall et dans les environs, comme Im Westen viel Neues (À l’Ouest, du nouveau) qui s’intéresse aux traces du (post)colonialisme. La visite guidée de la ville Auf den Spuren von Rassismus (Sur les traces du racisme) a, elle, été lancée en 2019 dans le cadre des Journées d’action contre le racisme de Saint-Gall.

L’histoire directement depuis son smartphone

Issue du milieu académique des sciences historiques, l’association Zürich Kolonial s’engage à présenter au grand public les traces du colonialisme à Zurich. « Des Zurichois ont investi dans l’esclavage, se sont enrichis grâce aux plantations d’outre-mer, ont organisé des zoos humains ou se sont mis au service d’armées coloniales en tant que mercenaires », note l’association sur son site Internet. Un circuit urbain a été conçu sur cette thématique, avec une douzaine de stations dans la ville de Zurich qui peuvent être explorées en toute autonomie avec un audioguide. Il est aussi possible d’écouter ces récits sur son propre smartphone à la maison ou à l’extérieur et l’on devrait bientôt pouvoir scanner un code QR à chaque station pour avoir directement accès à l’histoire coloniale rattachée à cet endroit de la ville. On y apprend par exemple ce qui relie le magnifique parc de Belvoir et la haute société zurichoise avec le colonialisme au XIXe siècle, ou ce que les peintures murales de la gare de Wiedikon racontent du racisme et du colonialisme.

À Winterthour aussi, des historiens proposent des visites publiques de la ville et des visites guidées pour les groupes. Sous le titre Dunkle Geschäfte (Sombres affaires), il est possible de découvrir les lieux de l’histoire coloniale jusque-là passée sous silence. À Bâle, l’association Frauenstadtrundgang Basel, qui propose déjà des visites guidées, y compris sur le thème de la migration, prévoit un circuit axé sur le colonialisme. À Genève, le collectif Afro-Swiss propose depuis 2019 une visite guidée intitulée « Du village noir au mouton noir : visite guidée de la Genève coloniale ». Des initiatives similaires de la société civile existent également dans d’autres villes suisses, ou sont en cours de développement.

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