Auteur
Phil Galland est directeur des programmes en marketing digital de l’école CREA à Genève, qui forme des professionnels du marketing et de la communication aux niveaux tant stratégique (digital marketing et community management) que créatif (direction artistique).
pg@creageneve.com
De nombreux internautes affichent ouvertement leurs prises de position racistes sur la toile, ce qui donne au racisme un rayonnement vertigineux étant donné qu’une personne sur deux dans le monde est connectée à Internet. Comment en est-on arrivé là et, avec la fin annoncée de l’anonymat, la situation peut-elle changer ?
Les chiffres donnent le tournis : alors que nous approchons la barre des 7,5 milliards d’individus sur notre planète en 2015, le numérique vit une croissance exponentielle avec 3,175 milliards de personnes connectées à Internet, soit 43 % de la planète !
Le nombre de personnes actives sur les réseaux sociaux est lui aussi colossal, avec plus de 2,2 milliards de personnes sur les plus importantes plateformes sociales, soit 30 % de la population mondiale ! Levier de croissance important, le téléphone mobile se taille la part du lion avec 1,925 milliard d’individus possédant un portable et également actifs sur les réseaux sociaux, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2014. Dernier chiffre révélateur : le 27 août dernier, Facebook a dépassé le milliard d’utilisateurs en une seule journée !
Le numérique permet de rester connecté en permanence avec sa famille et ses proches mais aussi des inconnus, des marques ou des objets. Il a modifié nos interactions comme peu de technologies avant lui. Surtout, ce changement a eu lieu de manière très rapide : s’il a fallu attendre 22 ans pour que la télévision fasse sa place dans 50 % des salons, il n’en a fallu que 10 pour Internet, et 7 pour le téléphone portable.
Au cœur de cette révolution, on trouve les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui représentent 55 % de notre vie numérique. Chacune de ces entreprises se positionne très clairement dans des secteurs jusqu’alors peu concernés par la numérisation, investissant de nouveaux marchés tels que la finance, les télécommunications, la santé ou la voiture. Il existe chez ces leaders une volonté d’hégémonie qui passe par l’invention du futur, avec la voiture connectée, le monde virtuel ou encore l’utilisation de drones. Toutes ces initiatives ont une monnaie commune : la donnée. Selon la multinationale américaine IBM, 90 % des données dans le monde ont été créées au cours de ces deux dernières années. Ces quantités de données proviennent de l’activité des entreprises (achat en ligne, etc.) mais aussi de nos propres échanges personnels (courriels, WhatsApp, photos, vidéos etc.). Cette augmentation exponentielle de la quantité d’informations disponibles permet de créer de nouveaux usages. En effet, la valeur de toutes ces données est nulle s’il n’existe pas en amont un processus de transformation de l’information.
Avec plus de 3 milliards de personnes connectées, il y a toujours plus d’applications qui cherchent à faciliter nos conversations et le partage d’informations, et bien évidemment à nous divertir. Les contenus que nous créons sont donc sauvegardés et analysés en permanence : impossible de passer inaperçus. Internet est devenu une véritable documentation de la culture populaire. En 2014, la Coupe du monde de football a ainsi fait l’objet de plus de 3 milliards de publications, commentaires et autres like. La finale, à elle seule, a comptabilisé 280 millions d’interactions.
Ces discussions en ligne concernant le divertissement ou l’actualité ont pris des proportions inenvisageables à l’époque où seules existaient la radio, la presse ou la TV. Le portable, qui nous permet d’être connectés 24 h/24, a largement contribué à amplifier ce phénomène.
Il existe deux différences majeures entre la communication en ligne et les médias traditionnels : l’accessibilité par n’importe quel internaute et les traces laissées. Ce que je dis à un ami dans un bistrot reste entre lui et moi. Ce que je poste sur un réseau social ou sur un site est accessible – et le reste – par de multiples sources ! C’est une implication qu’il est essentiel de garder à l’esprit quand on aborde des sujets sensibles tels que le racisme.
La preuve par l’exemple : en 2012, lors du dernier match des playoffs de hockey aux Etats-Unis, l’équipe de Washington a marqué le but de la victoire et éliminé Boston, un grand rival. Une banale fin de match de hockey, sauf que le joueur qui venait de marquer, Joel Ward, est l’un des rares joueurs noirs de la ligue. Une vague de commentaires racistes a déferlé sur Twitter. L’histoire aurait pu s’arrêter là si une personnalité influente du milieu n’avait pas regroupé tous les commentaires racistes pour les partager sur son propre profil, donnant à leurs auteurs une exposition qu’ils n’avaient pas prévue. Certains d’entre eux ont dû quitter leur travail et d’autres plus jeunes ont par exemple été contraints de quitter leur équipe de hockey.
Cette anecdote reflète une réalité : le racisme est malheureusement encore plus présent en ligne et de manière bien plus crue et directe que dans la vie de tous les jours. Voici quelques éléments d’explication qui ne sont toutefois pas exhaustifs tant le sujet est vaste et complexe.
En revanche, dans une étude datant de 2012 sur l’impact de l’anonymat dans les interactions en ligne, les chercheurs ont constaté que, bien que les commentaires anonymes aient été de nature plus contrariante et extrême que les autres, ils étaient aussi beaucoup moins susceptibles de modifier l’opinion sur une question d’éthique. Ce point est fondamental, notamment pour les institutions qui cherchent souvent à répondre à tous ces commentaires alors que leur impact est en réalité presque nul. Mieux vaudrait donc garder son énergie pour des combats plus efficaces comme celui de la prévention.
De plus, nous entrons dans une ère de transition. Nos données ont pris tellement d’importance et de valeur qu’il sera de plus en plus difficile de rester dans un anonymat complet. En effet, nos comptes Facebook et Google nous suivent partout, nous permettant de moins en moins de nous cacher derrière un nom d’utilisateur fictif.
Avec la fin de l’anonymat, nous pourrions donc espérer voir ce type de racisme disparaître. Or la nature humaine et la logique d’Internet font qu’il restera toujours deux types de profils : les personnes ouvertement racistes dans leur vie de tous les jours qui continueront de s’afficher sur le net, et les adolescents en quête de popularité qui n’auront toujours pas compris l’impact des traces qu’ils laissent dans ce nouveau monde numérique.