TANGRAM 35

« Beaucoup de jeunes se sentent très seuls quand ils sont discriminés »

Propos recueillis par Joëlle Scacchi

Auteure

Joëlle Scacchi était responsable de rédaction de Tangram. Elle a travaillé pour la CFR entre janvier 2010 et avril 2015. joelle.scacchi@gmail.com

Roman Helfer s’est engagé dans la campagne No Hate Speech (Non aux discours de haine) du Conseil de l’Europe au niveau suisse et européen. A 21 ans, il est déjà conscient de l’importance mais également des difficultés que représente la lutte contre les discriminations. Il nous livre ici les moments forts de son expérience. Rencontre avec un jeune militant déterminé à faire progresser la cause des droits humains.

Quelle était le principal défi de la campagne contre les discours de haine en ligne No Hate Speech ?

La difficulté mais aussi le principal intérêt de cette campagne était de pouvoir réunir tous les types de discrimination dans un seul projet, qu’il s’agisse de discriminations liées à l’origine, à la couleur de peau, au genre, à l’orientation sexuelle, ou autre. On a eu la chance de travailler avec de nombreuses organisations très bien structurées, très spécialisées dans un domaine particulier et le but est de continuer à collaborer sur la thématique commune des discours de haine sur Internet.

En tant que délégué européen pour le Conseil suisse des activités de jeunesse, le CSAJ, quel était votre rôle ?

J’ai représenté le CSAJ, qui a coordonné la campagne en Suisse, lors de plusieurs rencontres au niveau international. Au niveau personnel, c’était très enrichissant. En avril 2014
j’ai notamment participé à une rencontre des coordinateurs de la campagne à Bruxelles.

J’ai aussi participé au forum No Hate Speech en Azerbaïdjan, qui a réuni 250 personnes actives dans la campagne. Je me suis retrouvé modérateur d’un groupe qui devait débattre des droits des personnes LGBT et j’ai pu me rendre compte à quel point les sensibilités pouvaient être différentes selon les pays. Nous devions nous mettre d’accord, mais c’était difficile et chacun devait faire des concessions. Il y a encore des sujets qui sont particulièrement difficiles.

Quand ça devient concret, les choses se compliquent…

Oui, pour toute forme de discrimination, les principes sont souvent faciles à accepter, mais c’est dans la pratique que les difficultés surgissent. On veut bien en théorie accepter toutes les religions, mais la construction de lieux de culte est moins évidente à faire passer et les discussions sont nécessaires. Les jeunes ne sont pas un groupe idyllique, prêts à faire passer les droits de l’homme avant toute chose sans discussions. Ils sont le reflet de la société dans laquelle ils vivent, très imprégnés de leur éducation, de leur vécu. Pour mobiliser et informer les jeunes, il reste beaucoup à faire.

Y a-t-il eu un événement personnel qui vous a poussé à vous engager ?

Je suis actif dans le mouvement syndical et j’ai toujours été très sensible à la lutte contre les discriminations envers les femmes ou envers les homosexuels. J’ai fait un apprentissage de cuisiner à 16 ans et très tôt été confronté à l’injustice. Notamment par rapport à mes collègues étrangers, méprisés et sous-payés. J’ai réalisé le déracinement et l’effort qu’ils devaient faire pour faire un travail mal rémunéré, peu considéré. J’ai appris à les connaître et j’ai été très admiratif. J’ai réalisé qu’on ne pouvait pas se fermer aux autres, car il y avait tellement à apprendre de leur situation. C’est cette expérience humaine qui m’a ouvert les yeux et rendu sensible à la valeur des gens, quel que soit leur origine ou leur statut social.

Plus tard, j’ai fait une maturité commerciale et réalisé à quel point on pouvait juger les autres selon le niveau d’éducation.

Qu’est-ce qui touche le plus les jeunes ?

Ce n’est pas les grands principes de bases ni la théorie qui permet de toucher les jeunes. Les jeunes doivent pouvoir ressentir les choses, échanger, se questionner. Je crois beaucoup à l’éducation participative. Il faut la liberté et l’espace pour exprimer leurs réalités.

Sur le site européen de la campagne, une plate-forme permet de signaler des agressions verbales. A-t-elle été beaucoup utilisée ?

A l’échelle européenne, ça a très bien marché – malheureusement ! Il y a eu beaucoup de signalements sur cette plate-forme. Mais à ma connaissance, il n’y a eu aucune ou très peu de conséquences juridiques. La plate-forme informe sur les mesures qui peuvent être prises, par exemple une plainte pénale dans certains cas ou le signalement à Facebook, qui vaut toujours la peine. Même si en réalité c’est souvent sans résultats, j’en ai fait personnellement l’expérience. Les contenus que j’ai signalés n’ont jamais été supprimés et pourtant c’était des contenus graves et clairement inacceptables. Il ne faut pas se décourager et continuer sur cette voie. Signaler pour combattre mais aussi signaler pour exister et faire partie d’un réseau. Beaucoup de jeunes se sentent très seuls quand ils sont discriminés. Les discours de haine sur Internet ont la particularité de ne jamais cesser, et de nous poursuivre tous les jours si on a le malheur d’en devenir la cible. La personne qui est seule dans sa chambre, même si le téléphone mobile et l’ordinateur sont éteints, continue d’être la cible des discours de haine car son profil Facebook continue d’être actif. On ne sait pas comment gérer cette situation ni comment réagir.

Un des buts de la campagne était de promouvoir une meilleure utilisation d’Internet. Quels sont les recommandations à ce sujet ?

Généralement, une personne se fait agresser par un ou deux agresseurs. La société dans son ensemble n’est pas agressive. Avec les réseaux sociaux, le fait de ne pas défendre la personne victime fait des autres utilisateurs des complices. Pour montrer son désaccord, ça demande un effort supplémentaire, car sur Facebook par exemple, il n’existe aucun symbole prévu. Seul le symbole « like » existe.

Il faut des lois pour protéger l’agressé, mais il faut aussi mobiliser la masse silencieuse, la pousser à agir et la responsabiliser. Si un agresseur se retrouve face à une victime entourée et soutenue pas une masse d’autres personnes, il ne va pas continuer. L’agresseur cherche avant tout à faire le buzz, à faire le malin, à se valoriser, mais s’il remarque qu’il n’est ni suivi ni soutenu, il arrête. On ne retire aucune gloire à être raciste, xénophobe ou homophobe.

Cette campagne est pertinente dans le sens où elle mobilise les personnes passives. On n’arrivera certainement pas à changer l’agresseur, mais, par contre, on peut le faire taire si on mobilise d’autres personnes qui s’opposent à lui.

La campagne No Hate Speech touche à sa fin. Les buts de la campagne ont-ils selon vous été atteints ?

Oui, je pense qu’une prise de conscience a eu lieu. C’est surtout dû à la campagne européenne, où des résolutions spécifiques à la sécurité sur Internet ont été prises, notamment au Conseil de l’Europe. On peut dire qu’il y a une prise en considération du problème qui est nouvelle. C’était d’ailleurs tout l’intérêt de cette campagne, c’est qu’elle abordait une nouvelle thématique.

Un autre objectif de la campagne était d’éduquer aux droits de l’homme et dans ce domaine il y a encore énormément à faire. Je me suis rendu compte que les droits de l’homme étaient méconnus des jeunes, qui ne savaient généralement pas comment ces droits étaient nés ni qui les avait créés. Par contre, ce qui est très intéressant, c’est de voir à quel point tout le monde y adhère quand ils sont expliqués !

La campagne sert avant tout à ouvrir le dialogue et la discussion entre des personnes différentes pour expliquer que, quel que soit la particularité de la personne dans son identité, il y a des principes de base qui doivent être respectés.

Un autre but consistait à mobiliser les gens et, même si la campagne prend fin, nous avons pu mettre sur pied un réseau d’activistes, issus des organisations de jeunesse ou enseignants et étudiants, qui sont prêts à mettre sur pied un mouvement qui puisse perdurer.

Quelles sont les actions qui vous ont le plus marqué ?

Dans le cadre de la campagne suisse, trois événements m’ont beaucoup marqué. Le premier était une séance d’information et de formation à Genève, regroupant de nombreux jeunes. Nous avons pu échanger et discuter avec des personnes d’horizons très divers, qui avaient aussi des sensibilités et des convictions très différentes.

Le 27 septembre, dans le cadre du festival des organisations de jeunesse de Genève, nous avons fait une action de sensibilisation. Nous nous sommes promenés avec des masques et des T-shirts de la campagne No Hate Speech. Grâce au théâtre de rue, nous avons essayé de sensibiliser les passants à la problématique de la discrimination sur les médias sociaux. Nous avons simulé des agressions verbales. C’était évidemment choquant pour le public. Nous avons repris des propos qui s’échangent très librement sur la toile.

Le troisième événement important de la campagne Suisse a eu lieu le 10 décembre 2014. Nous avons rencontré le conseiller fédéral Burkhalter. De nombreux jeunes de toutes les régions linguistiques de Suisse étaient présents. Il y avait une grande mixité d’âges et d’origines mais tous partageaient cette conviction : il faut un monde sans discriminations.

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