TANGRAM 41

« Idées reçues à tous les étages ». Trois questions à Caroline Turin, ancienne capitaine de l’équipe nationale de basket

Turin, Caroline

Est-ce que vous avez déjà été, au cours de votre carrière sportive, victime ou témoin de racisme ou de discrimination ?

La première fois que j’ai été atteinte et blessée, c’est à la suite d’un match au Luxembourg. Avec deux de mes coéquipières, Jalinka Michaux et Annie Kassongo, nous avions fait un bon match. Le lendemain, les journaux locaux écrivaient : « La Suisse s’impose grâce à ces trois joueuses naturalisées ». Il faut savoir que Jalinka et moi-même sommes métisses et Annie est Noire. La chose incroyable est que nous sommes toutes les trois nées en Suisse et que nous étions les seules joueuses noires ou métisses de la compétition. Le raccourci « Tu n’es pas blanche, donc pas Suisse » est de très mauvais goût ; nous étions blessées, nous qui avons grandi en Suisse et joué avec dévouement pour notre équipe nationale. Lire cela dans les journaux touche quelque chose d’assez personnel et nous a beaucoup révoltées les trois.

Comment définiriez-vous le racisme ou la discrimination dans votre sport ?

Présent mais pas assumé : c’est un sport où la couleur de peau est malheureusement vue avec ses prétendus qualités et défauts. Les propos racistes sont : « Il est déjà athlétique, il ne peut pas en plus avoir un bon QI basket » (sous-entendu blanc) ; ou à l’inverse « Il est intelligent ce joueur, t’imagines s’il avait été athlétique » (sous-entendu noir). Ce genre de propos sont très fréquents et quand j’essaie de faire remarquer que non, tous les joueurs blancs ne sont pas lents et intelligents, de même que les Noirs ne sont pas tous athlétiques avec un faible QI basket, alors on considère souvent que c’est moi qui fais exprès , on prétend « ne pas voir ce que je veux dire ». Les gens ne se rendent pas compte que leurs idées reçues enferment les gens dans des cases qui ne leur correspondent pas forcément !

Quelle(s) mesure(s) devrai(en)t être mise(s) en place pour mieux lutter contre le racisme dans le sport ?

En parler dans les clubs et dans les fédérations. Il y aurait sûrement beaucoup de travail à faire auprès des dirigeants, car les idées reçues sont à tous les étages. Les problèmes du racisme et du sexisme sont assez similaires dans le basket. Je pense que les campagnes publicitaires sont très importantes. Quand je vois l’Euroleague Women, le plus haut niveau de basket en Europe, faire une publicité avec Sonja Petrovic habillée en Wonder Woman sexy, je me dis que si l’on veut un changement, il faut commencer par le haut et les gens qui présentent le basket au monde entier. Pour le racisme, c’est pareil. Si l’on continue à mettre en avant, dans des vidéos/reportages, les qualités athlétiques de joueurs noirs et l’intelligence de joueurs blancs, quel message donne-t-on ? Un message totalement erroné de ce qu’un Noir ou un Blanc doit être sur un terrain. Les campagnes publicitaires qui cassent ces clichés avec des joueurs qui s’expriment sur le sujet, par le biais de leur vécu par exemple, seraient un bon début et devraient être encouragées et appuyées par les fédérations nationales et internationales.