TANGRAM 41

Le difficile accès au métier d’entraîneur de football pour les joueurs africains. Une forme de racisme institutionnel ?

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Docteur en sociologie du sport, Jérôme Berthoud travaille actuellement comme chercheur et chargé de projet à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) de Lausanne. Il est également membre du bureau de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) de Genève.
jerome.berthoud@unil.ch

Dans notre imaginaire, les actes racistes dans le football prennent souvent la forme de gestes fortement symboliques à l’image des cris de singe adressés aux joueurs noirs de l’équipe de France lors du match Russie-France en mars 2018. Pourtant, ce type de racisme n’est qu’une expression parmi d’autres formes de discriminations auxquelles font face les footballeurs africains.

Ces derniers ne sont ainsi que très faiblement représentés aux fonctions d’entraîneurs dans les grands clubs européens. Doit-on y voir une forme de « racisme institutionnel », à savoir la présence de stéréotypes racistes au sein de ces structures, qui désavantagerait les minorités ethniques ? Si non, comment expliquer cette situation ? Et que peut-on faire pour inverser la tendance ?

Entraîneur, un métier fermé aux Africains ?

Souvent privilégié comme « voie de sortie », le métier d’entraineur est néanmoins un choix périlleux, voire précaire, car particulièrement difficile d’accès. On observe en effet en premier lieu une très forte concurrence dans un milieu où l’offre ne peut répondre à la demande. En Europe, l’accès au métier d’entraîneur semble particulièrement fermé aux étrangers et plus encore aux Africains. Ainsi, au sein des principaux championnats européens, la forte proportion de footballeurs africains parmi les joueurs en activité ne se retrouve pas parmi les entraîneurs.

Un accès difficile

En 2015, il n’existait par exemple aucun entraîneur africain à la tête d’un club de première division française alors que 50 joueurs africains étaient répartis dans les 18 clubs de l’élite (Observatoire du football du CIES, Neuchâtel). Cette observation s’étend de manière plus générale aux entraîneurs noirs. En effet, depuis 1945, seuls trois entraîneurs de couleur, tous français, ont été à la tête d’un championnat de première division : Jean Tigana, Antoine Kombouaré et Claude Makelele (L’Équipe, « Pourquoi aussi peu d’entraîneurs noirs sur les bancs français », 23/02/2018). Cette difficulté à accéder à un emploi d’entraîneur n’est pas une spécificité française. En effet, un rapport de l’association des entraîneurs anglais (League Managers Association, LMA) indique qu’en 2015, seuls quatre entraîneurs sur les 92 officiant dans les quatre premières divisions anglaises étaient noirs, asiatiques ou issus d’une autre minorité ethnique (LMA, 2015). La Suisse ne fait pas exception. À notre connaissance, aucun entraineur africain n’a encore été à la tête d’un club de première division helvétique. Il n’est pas inintéressant de préciser que le marché du travail leur est également difficile d’accès en Afrique, où les équipes nationales sont souvent encadrées par des Européens. C’est par exemple un Vaudois d’origine, Raoul Savoy, qui entraîne l’équipe nationale de Centrafrique. Seules quatre équipes nationales africaines étaient ainsi dirigées par des entraîneurs africains lors de la Coupe d’Afrique des Nations 2017.

Des stéréotypes racistes qui perdurent

Comment expliquer ce phénomène ? Par un fond de racisme sans doute, qui vient parfois de hauts dirigeants du football. Les récents propos racistes de Carlo Tavecchio, président de la Fédération italienne de football entre 2014 et 2017 à l’encontre du joueur français Paul Pogba (dans un discours qui précéda son élection, Tavecchio avait déclaré « Opti Poba est arrivé ici et avant il mangeait des bananes, aujourd’hui il joue titulaire à la Lazio ») montrent à quel point des stéréotypes racistes sont présents au cœur même du fonctionnement du football européen. Cela étant, les raisons qui expliquent le difficile accès au métier d’entraîneur pour les joueurs africains sont complexes et une véritable enquête de terrain serait nécessaire pour confirmer ou infirmer l’existence d’un racisme institutionnel au sein des clubs et fédérations.

Concurrence et accès aux formations

Deux autres hypothèses peuvent être avancées pour expliquer la faible présence d’anciens footballeurs africains à des postes d’entraîneurs : on observe d’abord une très forte concurrence dans un milieu où l’offre ne peut répondre à la demande. Dans les championnats européens, l’accès au métier d’entraîneur semble particulièrement fermé aux étrangers, puisque le vivier constitué par les nombreux entraîneurs formés au niveau national, et dotés d’une formation de qualité, incite les clubs à faire confiance aux autochtones. Pour les joueurs africains il faut en outre surmonter les obstacles dans l’accès aux formations, tel que l’absence d’un capital culturel adapté, dans l’accès aux informations, sans compter d’autres difficultés comme la durée et le financement de la formation.

Encourager les footballeurs africains à accéder à des postes à responsabilité, comme entraîneur voire comme dirigeant, passe donc en premier par une prise en charge de leur parcours éducationnel en parallèle à leur carrière. Il est en effet du devoir des fédérations, des clubs et des agents de joueurs, qui tirent profit de leur talent footballistique, de faire en sorte que ces derniers possèdent les mêmes chances de réussir leur transition professionnelle que les sportifs européens, que cela soit comme entraîneur ou dans un autre domaine.

Note : Ce travail se base en partie sur les résultats d’un article scientifique co-rédigé avec le Professeur Fabien Ohl, à paraître dans la revue « Actes de la Recherche en Sciences Sociales ».