Auteur
Stéphane Koch est spécialiste de la gestion stratégique de l’information.
skoch@intelligentzia.ch
Sans cesse dénoncé et sanctionné pénalement, le racisme ne semble pas en recul pour autant. Au contraire, il apparaît même plus présent chez les jeunes générations qui devraient pourtant être, de prime abord, le rempart idéal à sa propagation. Même si l’augmentation réelle du racisme est difficile à évaluer, sa visibilité s’est objectivement accrue ces dernières années, du fait notamment de l’importance croissante des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans notre société, qui sont autant de moyens de s’exprimer. De là à rendre les technologies responsables des comportements humains, il y a un pas qu’on ne saurait franchir : le racisme est avant tout un problème d’éducation. Explications et propositions.
Le site web de l’association pour la prévention des jeunes romands, CIAO, propose plusieurs explications au racisme [extraits] : Les raisons pour lesquelles une personne peut adopter un comportement ou une idéologie raciste sont multiples et peuvent être d’ordre socioéconomique, psychosocial, historique ou politique. D’une manière générale, il semble qu’aujourd’hui le racisme ne corresponde plus forcément à la croyance profonde de l’appartenance à une race supérieure. Il tient plutôt de la peur et de l’inquiétude face à un autre qui est différent de soi et qu’on n’arrive pas à comprendre. Le racisme, c’est quand on en arrive à refuser ces différences, et à refuser, mépriser, exclure l’autre. Le racisme peut aussi être une réaction face à une insécurité ressentie – il faut une explication à ce qui va mal et un bouc émissaire – voire une réaction face à sa propre insécurité : « J’ai peur que l’autre prenne ma place, ou ait les mêmes avantages ou plus d’avantages que moi ». Il peut aussi arriver qu’on se sente supérieur, en tant qu’homme face aux femmes, en tant que citoyen suisse face aux étrangers, en tant qu’étranger établi en Suisse en toute légalité face aux requérants d’asile, et tout cela, de façon plus ou moins consciente. Cela rassure et permet de mettre l’autre à distance : « Heureusement je ne suis pas comme lui, comme elles... ».
Parmi les causes principales du racisme, on peut citer le refus de la différence. On pourrait aussi dire que le racisme n’est qu’une des représentations de l’incapacité à accepter les différences, quelles qu’elles soient : certains n’aiment pas les homos, d’autres les végétariens, les femmes qui s’habillent « trop court », ou encore ceux qui mangent du cheval…
CIAO a mis en avant un certain nombre d’hypothèses sur les aspects socioéconomique, psychosocial, historique ou politique qui pourraient expliquer ce rejet. Il ne faut pas non plus négliger le rôle de l’éducation, qui nous dit ce qu’on doit être et ce qu’est la « normalité » et qui constitue le ciment de nos repères culturels, relationnels et de la construction de notre système de valeurs. Quand on a été éduqué selon un modèle de société défini ou perçu comme étant LE modèle, il peut être parfois difficile de s’ouvrir à d’autres modèles. S’ouvrir, c’est accepter l’incertitude, la remise en question de ses convictions, ce qui peut s’avérer désécurisant et déstabilisant. Afin de lutter contre le racisme, faut-il donc « désapprendre » pour mieux comprendre ?
Réseaux sociaux, blogs ou commentaires d’articles de presse : haine et rejet s’expriment tous les jours sur Internet. Le média peut-il être tenu responsable du message ? En toute logique, non. Internet n’est pas à l’origine de tous nos maux, Internet n’est « qu’un » miroir sociologique. Et ce n’est pas parce que l’on n’aime pas ce que l’on y voit qu’il faut en nier l’existence, ne serait-ce par le biais d’une régulation plus forte.
Ainsi, obliger chaque plate-forme en ligne à cadrer ses utilisateurs ne résoudra pas le problème… Effacer un commentaire raciste sans expliquer à son auteur pourquoi ne permet pas de le sensibiliser. De plus, obliger les acteurs du net à faire la police est dangereux, non seulement en termes d’instrumentalisation potentielle mais aussi de liberté d’expression. L’amalgame entre terrorisme et activisme en est un bon exemple.
Sans oublier que traiter le problème du racisme sur le net par la seule régulation des contenus en ligne serait aussi et surtout un constat d’échec par rapport à l’idée même d’éducation. Aucun interdit n’a jamais permis de sensibiliser…
Les réseaux sociaux ont existé des siècles avant que des développeurs ne créent leurs pendants informatiques. Les TIC nous permettent de nous connecter avec des individus et des savoirs, et d’étendre d’autant le champ de nos connaissances. Revers de la médaille : elles ont rendu la grille de lecture de l’information plus complexe. Dès lors, il est important de comprendre les technologies pour mieux « lire ».
Pour pallier ce manque de discernement dont découle le sentiment raciste, il faudrait donc développer le sens critique. Comprendre un contexte, une information et la remettre en cause permet de s’ouvrir intellectuellement… Le principal vecteur de la propagation d’une information sur la toile est l’émotion. Une émotion étant par nature irrationnelle, les actes qui en découlent comportent forcément une part de cette irrationalité. Si l’émotion est positive, cela ne porte pas à conséquence, bien au contraire. La diffusion de la photo du corps du petit Aylan Kurdi a provoqué une prise de conscience, source d’empathie et de solidarité mais aussi généré beaucoup d’intox et de vidéos manipulées. Avoir une distance critique peut permettre de freiner cette dynamique émotionnelle dans son expression négative.
Un Wikipédia des stéréotypes culturels et religieux serait un projet pédagogique intéressant, qui permettrait de recenser, de manière participative et interethnique, tous les stéréotypes existants pour mieux les combattre. Avec pour résultat l’ouverture à d’autres cultures – de manière proactive et non imposée – et la naissance de nouveaux prescripteurs de valeurs.
Tous les établissements de formation devraient promulguer une charte d’utilisation des médias sociaux comprenant un ensemble de recommandations et un rappel du cadre légal qui couvrirait aussi le racisme et l’acceptation de la différence. Cette charte devrait s’adresser non seulement aux élèves, mais aussi aux enseignants. La création de ce document pourrait se faire de manière participative et pédagogique, les grandes lignes qui la composent étant définies par les enseignants, et les différents points pouvant être discutés par les élèves. Le document serait ensuite signé par chacun et transmis aux parents. Par la suite, des campagnes de sensibilisation, sur des supports physiques ou numériques, pourraient être mises sur pied, toujours de manière participative.
L’École Moser, à Genève, a créé une telle charte, en se servant du vécu numérique de ses élèves et de l’actualité. Il s’agit de sensibiliser les élèves, sur la durée, aux risques de dérapages numériques, mais aussi de leur permettre de comprendre certaines situations et de savoir comment réagir.
En 2013, la classe MM39 de la filière Ingénierie des médias de la Haute Ecole de Gestion d’Yverdon a réalisé un projet très intéressant appelé « Les racines d’à côté ». Le concept était de faire exister, cohabiter et interagir plusieurs colocataires atypiques d’origines et de cultures différentes, par le biais d’un ensemble de dispositifs numériques (réseaux sociaux, blogs, etc.). Les profils et interactions des différents protagonistes du projet s’inspiraient directement des participants au projet et de leur vécu. L’idée était de clore le projet par une rencontre « en chair et en os » réunissant tous les participants.
Ces exemples d’utilisation maîtrisée et pédagogique des TIC montrent bien toute la valeur ajoutée qu’elles peuvent apporter dans le domaine de l’éducation et de la lutte contre le racisme.
Der Experte: «Rassismus ist in erster Linie ein Problem der Erziehung»
(version courte)
L’esperto: «Il razzismo è soprattutto un problema d’educazione»
(version courte)