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« Le racisme n’est pas un problème prioritaire dans le football amateur suisse ». Interview avec Dominique Blanc

Blanc, Dominique

Le racisme imprègne-t-il le football amateur, comme l’affirment certains chercheurs et observateurs ? Faut-il renforcer les sanctions contre les comportements racistes sur les terrains ? La réponse est doublement non selon l’Association suisse de football (ASF). Pour cette dernière, le football est bien davantage un facteur d’intégration que d’exclusion. La priorité numéro un de l’ASF est de promouvoir un football amateur fort qui profite à tous. Entretien de 2x45 minutes avec Dominique Blanc, vice-président de l’ASF et président de la Ligue amateur du football suisse.

Pourquoi le racisme est-il plus présent, du moins plus visible, dans le football que dans les autres sports ?

Le football est non sélectif. Il est un fidèle reflet de la société. Le racisme existe malheureusement dans la vie de tous les jours. Il s’exprime aussi logiquement parfois sur les pelouses. Le ballon rond est le sport le plus pratiqué et le plus médiatique au monde. C’est normal qu’il attire davantage les regards, à tous les niveaux, racisme compris.

L’international suisse Gelson Fernandes a récemment affirmé : « En matière de lutte contre le racisme, le football stagne car les sanctions ne sont pas assez sévères. Ces dernières doivent devenir beaucoup plus lourdes, voire extrêmes. Et les fédérations nationales et internationales doivent s’engager davantage ». Qu’en pensez-vous ?

Gelson Fernandez est un excellent joueur que je respecte. S’il le dit, c’est qu’il ressent cela sur les terrains. Du point de vue de l’ASF, nous ne partageons pas cette analyse. Nous avons pris des mesures contre le racisme il y a longtemps déjà.

Que fait concrètement l’ASF pour lutter contre le racisme sur les terrains de football ?

L’ASF a sérieusement empoigné cette problématique il y a plus de vingt ans. Des sanctions pour propos et comportements racistes ont été introduites en 1997. Un propos raciste peut valoir de trois à cinq matchs d’arrêt. Les actes les plus graves peuvent entraîner des suspensions jusqu’à une année, voire davantage. Quant aux amendes, elles ne sont pas très salées, car cela n’aurait pas un effet éducatif positif à long terme. Le catalogue de sanctions en vigueur est largement suffisant. Quant à savoir s’il est appliqué partout en Suisse de la même manière, je ne pourrais l’affirmer, car mes yeux et mes oreilles ne sont pas partout.

L’ASF tient-elle un registre des incidents racistes ?

Non. Mais de manière générale, les incidents racistes ne figurent pas dans le tiercé des incidents recensés sur les terrains. En revanche, les statistiques montrent que les joueurs de certaines communautés commettent davantage de fautes ou ont un comportement moins exemplaire. Les joueurs les plus fair-play sont les ressortissants des États-Unis et du Canada. Il est cependant à relever qu’une fois que l’on aborde ce sujet dans les réunions de prévention, toutes les communautés progressent de manière égale dans le fair-play.

L’ASF est-elle bonne élève dans la lutte contre le racisme par rapport à d’autres fédérations nationales ?

Oui, je pense que la Suisse est exemplaire en la matière. Notre pays a toujours vécu avec une forte population étrangère. Le football et le sport en général exercent un important levier intégrateur, à l’instar de l’école, de la vie associative ou du travail.

Vous dites que l’ASF est bon élève. Pourtant, la problématique du racisme n’apparaît nulle part sur le site Internet de l’association faîtière du football suisse…

Il n’y a nulle stratégie de la part de l’ASF de mettre cette thématique sous le tapis. Ces deux dernières années, nous avons planché sur un programme intitulé « Avenir du football amateur ». Après un examen approfondi, onze priorités sont ressorties. Le racisme n’y figure pas. Parce que selon les instances dirigeantes des treize régions autonomes du football amateur en Suisse, le racisme n’est pas un problème prioritaire ou grave. J’ajoute que lors de nos enquêtes auprès des 1450 clubs du pays, la problématique du racisme ne ressort pas non plus pour eux comme une préoccupation majeure. La priorité numéro un de l’ASF est de promouvoir un football amateur fort qui profite à tous.

Certains clubs sont plus volontaristes que l’ASF. Le FC Winterthur a édicté une charte sociale qui condamne fermement la discrimination raciale. Il n’y a pas de fumée sans feu, non ?

Je ne peux que saluer cette démarche. Mais le FC Winterthur ne fait qu’appliquer l’art. 3 des statuts de l’ASF qui proscrit toutes formes de discrimination. C’est bien évidemment un exemple à suivre pour tous les clubs. Comme je l’ai déjà soulevé, l’ASF considère que le football est bien davantage un facteur d’intégration qu’un facteur d’exclusion. Surtout dans le football amateur qui draine l’immense majorité des licenciés.

Il n’empêche. Claude Boli, historien du sport et frère de l’ex-international français Basile Boli affirme : « Dans le football amateur, le racisme est pire qu’au très haut niveau ». Pas d’accord ?

Je me pose la question si ce monsieur connaît bien le football amateur. C’est peut-être le cas en France, mais pas en Suisse. Loin de moi l’idée de minimiser quoi que ce soit. Sincèrement, je le répète : le racisme n’est pas un problème central dans notre football amateur. Il y a davantage de problèmes liés à des rivalités entre clubs de différentes régions ou entre clubs de la ville et de la campagne. Je ne nie pas qu’il puisse y avoir parfois des provocations liées à l’origine de joueurs. Mais l’arbitre ne peut pas tout voir, ni tout entendre. C’est contre ces discrètes provocations qu’il faut agir. Cependant, quand on sait que parmi nos 300 000 licenciés, la moitié possède un passeport étranger, je pense que le football suisse se porte bien en matière de vivre-ensemble. L’ASF est un petit monde en soi qui regroupe 178 nationalités. Cela montre que le football n’a pas de frontières. Depuis cinq ans, un footballeur au bénéfice d’une licence suisse de football a la possibilité d’évoluer dans tous les clubs de la planète. Je trouve cette ouverture et cette diversité formidables.

Comment explique-t-on cette proportion importante de joueurs d’origine étrangère dans le football suisse ?

Parce que la Suisse, par sa tradition humanitaire, est une terre d’immigration. Et parce que le sport est l’un des premiers univers dans lequel les nouveaux arrivants ont envie de s’intégrer. Le football est un sport universel et accessible, qui permet à tout un chacun de prendre ses marques et de s’affirmer dans sa société d’accueil.

En revanche, les personnes avec un passé migratoire ne sont pas représentées dans les instances dirigeantes supérieures du football, pourquoi ?

Je n’en connais pas les raisons exactes. À l’ASF, il n’y a aucun obstacle empêchant une personne d’origine étrangère d’accéder à une fonction dirigeante. Cette observation pertinente ferait un excellent sujet d’étude sociologique. Peut-être est-ce une question de disponibilité, de ressources et de cursus professionnel ? Une prise de responsabilité demande de l’engagement. Et tout le monde n’est pas financièrement en mesure de réduire son taux d’activité.

Vous l’avez dit. La moitié des licenciés du football suisse est d’origine étrangère. Est-ce la raison pour laquelle l’équipe nationale est l’une de plus multiculturelles au monde ?

Évidemment. La composition de l’équipe de Suisse est un prisme de la pratique du football. S’ajoute le fait que de nombreux joueurs issus de la migration n’ont pas connu la zone de confort que connaissent la plupart des autochtones. Ils sont davantage prêts à prendre des risques et à faire des sacrifices, car ils voient dans le sport un possible facteur de réussite.

Au vu des excellents résultats de l’équipe suisse ces vingt dernières années, on pourrait penser que l’apport de joueurs issus de la migration a contribué à élever le niveau du football national. D’accord avec cette hypothèse ?

Incontestablement oui. La diversité est toujours un plus. L’apport des communautés a stimulé le développement du football suisse, y compris celui de la Nati qui prendra part à une 4e Coupe du monde consécutive. Du jamais vu. Espérons que cela dure.

Même si la lutte contre le racisme n’est pas une priorité de l’ASF, quels sont les meilleurs moyens de prévenir la discrimination raciale dans le football en Suisse ?

L’ASF s’est beaucoup engagée pour prévenir la discrimination. Tous les entraîneurs et les arbitres suivent au cours de leur formation une demi-journée consacrée au thème de la prévention, dont celle du racisme. Aujourd’hui, l’ASF ne veut pas donner une visibilité exagérée au racisme, sachant que ce dernier n’apparaît pas comme une problématique centrale, ni dans le football amateur ni au niveau professionnel.

Propos recueillis par Samuel Jordan