Auteur
El Hadji Gorgui Wade Ndoye, Directeur du Magazine panafricain ContinentPremier.Com, journaliste accrédité aux Nations-Unies, Genève.
g.ndoye@continentpremier.com
Comme l’attestent de nombreuses sources, une présence noire hors d’Afrique existait bien avant le début de l’esclavage. En réalité, « Le Noir » a été inventé au 15e siècle par les colonisateurs occidentaux et réduit en esclavage grâce à la légitimation intellectuelle des scientifiques et ecclésiastiques de l’époque. Les préjugés actuels ont de profondes racines et sont aujourd’hui encore véhiculés par de nombreux médias. Heureusement, le continent africain prend de plus en plus conscience de sa force et enregistre, au delà de ses nombreux défis, des succès incontestables.
Le continent africain est aujourd’hui reconnu par les scientifiques comme le berceau de l’Humanité. Ce fut sur son sol que l’homme serait apparu et que se sont constituées les premières communautés humaines. Le paléontologue et professeur au collège de France Yves Coppens a déclaré : «Nous possédons une origine unique : nous sommes tous des Africains … ».
L’Afrique s’étend sur 30 millions de kilomètres carrés et abrite, aujourd’hui, une population blanche et noire de plus d’un milliard d’habitants, composée d’Arabes et de Noirs ayant toujours entretenu des relations. Le Sahara était, il y a 8 à 10 000 ans, couvert de vastes forêts, de lacs, d’animaux et de végétaux, et n’a jamais constitué une barrière entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. De nos jours, de plus en plus de Blancs vivent en Afrique et certains sont naturalisés dans leur pays d’accueil ou de naissance.
L’Egypte, qui a donné au monde une prestigieuse civilisation vieille de 5 000 ans est partie intégrante du continent africain et n’a jamais appartenu à l’Asie comme l’historiographie coloniale, l’ethnographie et l’anthropologie racistes ont cherché à l’accréditer depuis des siècles pour tromper l’opinion internationale, dénonce l’historien sénégalais et professeur Iba Der Thiam.1
De l’avis de certains scientifiques, des études comparatives portant sur l’égyptien ancien et les langues négro-africaines ont établi leur parenté étymologique avec les langues wolofs du Sénégal, par exemple, (4 000 mots ont la même signification), les langues bantous, dagara du Burkina Faso, le yoruba du Nigéria, le baoulé de la Côte d’Ivoire, le dogon, etc.2
Il est, par ailleurs, scientifiquement établi par des tests ADN, que c’est d’Afrique, il y a plus d’un million d’années, que les ancêtres primitifs de l’Humanité, les homo-erectus, sont partis, pour aller « coloniser » l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie, voire l’Amérique, à travers la Béringie, à l’époque des glaciations du Quaternaire, puisque des témoignages recueillis par des compagnons de Christophe Colomb attestent avoir trouvé des Noirs en Amérique, au moment où les Espagnols arrivaient en 1492, précise le professeur Thiam. Les populations noires des îles Andamans, dans le golfe du Bengale, seraient venues d’Afrique il y a 60 000 ans.
Des travaux scientifiques récents de chercheurs américains, comme Runoko Rashidi, établissent la présence des populations africaines noires à Summer, en Irak, en Iran, au Koweït, en Arabie, au Pakistan, en Turquie, en Palestine, en Jordanie, en Israël, au Sri-Lanka, au Cambodge, au Vietnam, au Japon et en Chine, mais également dans les 13 000 îles de l’Indonésie, sans parler de la Sibérie, de la Corée, de l’Ouzbékistan ou de l’Inde. Et évidemment, selon le témoignage de Magellan, aux Philippines 3.
La dispersion du monde noir ne commence donc ni avec l’esclavage, ni avec la traite négrière, mais dès la Préhistoire.
Ceci posé, voyons comment le Noir a été inventé par le Blanc. Et comment cette « invention du Noir par la bibliothèque coloniale », comme le rappelle le professeur Mamadou Diouf5, se perpétue de manière visible ou insidieuse dans la littérature de la presse occidentale.
Jusqu’au milieu du 15e siècle, il y a eu peu de contacts entre l’Occident et le Continent africain, notamment sa partie subsaharienne. Les Portugais seront les premiers à débarquer dans les embouchures du Sénégal et sur la presqu’île du Cap-Vert (pointe occidentale du continent Africain, au Sénégal). Le navigateur et explorateur portugais Diniz Dias a ouvert la porte à l’Europe qui espérait y découvrir de l’or en abondance : « réservoir surréaliste des merveilles réjouissantes, le puissant royaume du mythique Prêtre Jean... ». Cependant, l’Afrique n’était pas aussi prospère à l’époque que le rêvait l’Occidental.
Avec la découverte de l’Amérique en 1492, les Européens mettront en place un vaste système d’exploitation des ressources naturelles et puiseront la main-d’oeuvre nécessaire en Afrique noire en réduisant des millions de personnes à l’esclavage. Pendant trois siècles, près de douze millions d’Africains noirs seront forcés de faire le voyage à ticket simple vers le « nouveau monde ».
Les frères Pizigani racontent l’abondance d’or en Ethiopie, des dignitaires couvrant même « leurs maisons de toits à lames d’or » et l’intérieur « orné avec de l’or travaillé » et les soldats aux « armes en or » que, « quand ils vont à la guerre, les reflets du soleil rendent si brillantes que personne ne peut les regarder ». Idéalisé au départ, l’homme Noir sera au moyen âge vite assimilé au descendant de Cham, le fils maudit de Noé, donc corvéable à merci, d’où la justification par l’Eglise de l’esclavage.
Avec Henri le Navigateur, les Portugais longent les côtes africaines et atteignent le cap de l’extrême sud du continent en 1488. Duarte Pacheco Pereira parle de la nudité des Africains, assimilée à l’obscénité et à la perversion sexuelle dans la morale chrétienne, sauf, dit-il, « les nobles et les hommes honorables (...) ils peuvent avoir autant de femmes qu’ils veulent (...) ».
Il dira plus loin : « Ils sont vicieux, rarement en paix les uns avec les autres et sont de grands voleurs et menteurs (...) de grands buveurs et très ingrats (...) Sans honte ils ne cessent de mendier (...) Ils ont tous les défauts qu’un homme peut avoir » 6.
De ces Africains « l’on ne peut rien apprendre de bon, ni pour les mœurs, ni pour l’éducation (...) Ils sont très bornés du côté des sciences (...) Ils dégagent une odeur répugnante surtout lorsqu’ils ont chaud » écrit Le Page du Pratz en 1758. Et d’ajouter : une paresse congénitale, une indolence, une apathie, une nonchalance et une ignorance de quoi faire d’eux-mêmes. En conséquence il faut « les guider, les diriger», ces gens dont « la danse est leur passion favorite. Il n’y a pas un peuple au monde qui y soit plus attaché qu’eux », renchérit Labat. C’est « un peuple de rire et de la danse ». « Ils passent le plus clair de leur temps à piailler, à caqueter et à s’esclaffer, dit David, qui martèle : « Ils se pillent, volent et assassinent impunément».
Des évangélistes étaient convaincus qu’on ne pourrait jamais faire des Africains de bons chrétiens. Le Révérend Père Labat soutient : « Il est certain que leur tempérament chaud, leur humeur inconstante et libertine, la facilité et l’impunité qu’ils trouvent à commettre toutes sortes de crime, ne les rend guère propres à embrasser une religion dont la justice et la mortification (…) la continence (…) l’amour des ennemis, le mépris des richesses, etc. sont les fondements ». Le terrain est bien préparé pour assouvir le désir de la domination de l’homme par l’homme : réduire en servitude ces hommes frappés d’une « indignité naturelle » et dont le profil moral est très bas peut poser un problème de conscience.
En 1776, Chambonneau parle du roi du Sénégal en affirmant qu’il « n’a fait que tuer, prendre captifs, piller et brusler y pays (...) gaster les mils et les couper en verd en sorte que les gens (...) estoient contraints de manger de l’herbe (...) et des charognes ».
D’autres par contre ont insisté sur la beauté des Africains, sur leur générosité, leur fidélité et leur bonne humeur. « Ce qui indique la grandeur, des qualités morales ou intellectuelles et donc qui est un signe de majesté et de noblesse selon David. Ils vouent un grand respect aux vieillards. » « Ils ne les appellent jamais par leur nom qu’ils n’y joignent celui de père. Quoiqu’ils ne soient point leurs parents, ils ne laissent pas de leur obéir, et de les soulager en toutes choses» à en croire Labat.
Pour légitimer l’aventure coloniale, les anthropologues, les ethnologues, les politologues, les économistes et les naturalistes comme Buffon, et certains milieux ecclésiastiques à travers le mythe de la damnation de Cham, ont bâti une image du Noir sauvage, inculte, qui n’a rien inventé, qui n’a rien produit, parasite, paresseux, bon enfant, incapable seul de conduire son destin.
Ils ont justifié les notions de «mission civilisatrice », de « droit d’aînesse », la mission évangélique consistant à sauver des « âmes livrées à la perdition », perpétué l’image de l’Afrique continent mouroir, avec ses fièvres, ses fortes chaleurs, ses animaux sauvages, ses serpents, cette humanité qui dysfonctionne et légitimé la traite négrière, l’aventure coloniale, le Code noir, le régime de l’indigénat.
On a même vu des représentants illustres des Lumières, comme Montesquieu, légitimer la traite négrière et d’autres, comme Voltaire, investir leurs avoirs dans le commerce du bois d’ébène.
S’en suit la théorisation de la lutte des races. Gobineau, Buffon et d’autres « scientifiques » proposaient une hiérarchie des races dans laquelle les Noirs occupaient la dernière catégorie.
On a, ensuite, théorisé la colonisation et, actuellement, la notion de droit d’ingérence prétendument humanitaire, véhicule de fortes doses de préjugés pour justifier de la nécessité d’interventions militaires qui le plus souvent cachent des intérêts géostratégiques et économiques.
La presse et les médias ont joué un rôle qui ne les grandit pas, de même que l’école. « En ne mettant l’accent que sur ce qui est négatif dans le monde noir, à savoir les Bokassa, Mobutu, Eyadema, Bourguiba, et en ne privilégiant que les images qui parlent de faim, de famine, d’épidémies, de sida, de coups d’Etat, de guerres tribales et ethniques, de rivalités tribales, religieuses, on a fait naître dans les consciences l’image d’un continent maudit, à la dérive, gangréné par des maux incurables et celle d’une élite africaine corrompue, pourrie, gabégique, dictatoriale, incapable de réussir sans la tutelle d’un étranger, pour mieux justifier la domination extérieure sur nos monnaies, les plans d’ajustement structurel, l’exclusion de l’Afrique de la gouvernance mondiale, son éviction des centres où se décident le prix des matières premières et la fixation du prix des produits manufacturés », déclare le professeur Iba Der Thiam. Ce dernier de s’interroger : « Comment s’étonner, après cela, que les milieux racistes, exploitant les scènes d’immigration que l’on voit sur nos télévisions, ainsi que les excès ou maladresses de telle ou telle communauté arabe ou noire, distillent une politique d’exclusion, de racisme, de discrimination et de mépris culturel, que dénonçait Léopold Sédar Senghor. »
La prospérité actuelle du monde occidental repose, certes, sur le travail de ses fils et de ses filles, mais aussi et indiscutablement, sur l’exploitation pluricentenaire des richesses, des cerveaux et des bras du continent africain.
Cette exploitation donne des droits aux Africains. Sans eux, le cours de la guerre 14-18 et de celle de 39-45 aurait été différent et la carte de l’Europe ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. D’ailleurs, ce sont Brazzaville et Alger qui furent les capitales de la France Libre.
Aujourd’hui, le combat des Africains est en train de bouleverser toutes les images d’Epinal véhiculées depuis des décennies. L’Afrique prend de plus en plus conscience de sa force et enregistre des succès croissants. Des succès tels que plus personne ne songe à la marginaliser, encore moins à la diaboliser davantage. Aujourd’hui, on ose même dire dans les cercles des conjoncturistes les plus crédibles d’Occident que le continent africain pourrait être le continent du 21e siècle.
1 Déclaration faite à Dakar en 2010, lors du Forum mondial des intellectuels – Festival mondial des Arts Nègres Fesman par l’historien et homme politique sénégalais Iba Der Thiam.
2 Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture : de l’Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, Présence Africaine, 1954. Théophile Obenga, Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes, L’Harmattan, Paris, 1993.
3 Voir par ex. l’article « Philippines » écrit en 1765 par Louis de Jaucourt (D.J.), dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
4 Source : Diop Brahim, L’Afrique noire telle que l’Occident la perçoit, (15e-18e siècles, entre mythes et réalités) – Colloque international sur les Héritages du passé, Dakar, 1992. Article en partie déjà publié par El Hadji Gorgui Wade Ndoye, Repenser l’image de l’Afrique, Continent Premier, 2004. http://www.continentpremier.com/?article=429&magazine=13
5 Le professeur Mamadou Diouf est un historien sénégalais réputé. Il est actuellement à la tête de l’Institut d’études africaines à l’Ecole des affaires internationales et publiques (School of International and Public Affairs) de l’université Columbia à New York. Entretien avec l’auteur.
6 Pereira, 1956, extrait d’un texte de Diop Brahim, L’Afrique noire telle que l’Occident la perçoit, (15e-18e siècles, entre mythes et réalités).
Bibliographie
Jean Devisse, L’image de l’Afrique dans le monde occidental, II : Des premiers siècles chrétiens aux « Grandes découvertes », Paris, Bibliothèque des Arts, 1979.
Jean Devisse, Michel Mollat, Les Africains dans l’ordonnance chrétienne du monde, Paris, Bibliothèque des Arts, 1979.
Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, Paris, Gallimard, 2003 (réédition de la publication originale publiée par l’UNESCO en 1952).
Jacques Ruffié, De la biologie à la culture, Paris, Flammarion, 1976.
Rapport des groupes de travail sur l’intégration, soumis au premier Ministre français, 2013.
La Condition noire, Paris, Calmann-Lévy, 2008. (et Folio Gallimard 2009).
Actes du Forum mondial des intellectuels – Festival mondial des Arts Nègres Fesman, sous la direction du Professeur Iba Der Thiam, Dakar, décembre 2010.
Diop Brahim, L’Afrique noire telle que l’Occident la perçoit, (15e-18e siècles, entre mythes et réalités) – Colloque international sur les Héritages du passé, Dakar, 1992.
Das Bild Afrikas im Westen: eine Geschichte der Vorurteile
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L’immagine dell’Africa in Occidente. Una storia di pregiudizi
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