TANGRAM 33

Les requérants d’asile africains en manque d’assistance juridique de qualité

Auteur

Alfred Ngoyi wa Mwanza est juriste, spécialiste de l’asile et des droits de l’homme. Il a fondé le Bureau de Conseil pour les Africains francophones de la Suisse BUCOFRAS.
alfred.ngoyi@bucofras.org

La législation suisse et la pratique ont pour conséquence qu’il est très difficile pour les requérants d’asile africains d’être reconnus comme réfugiés. Sans assistance juridique de qualité, ces personnes peinent à faire reconnaître leur besoin de protection et les preuves qu’elles fournissent ne sont souvent pas prises en compte.

La Suisse accueille sur son territoire des personnes en quête de protection venant de divers pays. Pour bénéficier de cette protection, les étrangers doivent faire face à une procédure d’asile comprenant des lois et des pratiques qui ne cessent de se modifier dans le sens d’un durcissement. L’écart se creuse de plus en plus entre les besoins de protection et les droits humains d’une part, et l’application de la loi d’autre part. La souveraineté de l’Etat limite ainsi ces droits humains.

L’article 7 de la Loi sur l’asile stipule que le requérant d’asile doit prouver ou du moins rendre vraisemblable sa qualité de réfugié. La détermination de la qualité de refugié se fait sur la base de la vraisemblance des motifs d’asile du requérant par les autorités qui, se fondant sur la loi et la pratique, disposent d’un large pouvoir d’appréciation. C’est quand elles estiment que la qualité de réfugié est hautement probable, selon leur intime conviction, qu’elles peuvent octroyer le statut de réfugié. Pour cela, les allégations ne doivent pas, sur des points essentiels, être infondées, contradictoires, et elles ne doivent pas se reposer sur des moyens de preuves faux ou falsifiés.

Suppression du motif de désertion

La législation suisse et la pratique ont pour conséquence qu’il est très difficile pour les requérants d’asile africains d’être reconnus comme réfugiés. La modification urgente de l’article 3 de la Loi sur l’asile entrée en vigueur le 28 septembre 2012, supprimant la désertion comme motif d’asile et visant particulièrement les ressortissants érythréens, le prouve. Ainsi, la jurisprudence de l’ancienne Commission suisse de recours en matière d’asile CRA, qui avait permis aux Erythréens ayant déserté l’armée d’être reconnus comme refugiés, ne trouve plus son application. L’objectif du législateur n’a été autre que de stopper l’afflux des ressortissants érythréens en quête de protection en Suisse. On constate que les réalités de l’Erythrée sont aujourd’hui encore les mêmes et que les personnes concernées risquent, en cas de rejet de leur demande d’asile et de renvoi, de subir des persécutions dans leur pays.

Préjugés négatifs

Dans le traitement des demandes d’asile des ressortissants africains, la question des préjugés joue un rôle important dans la pratique des autorités, tant de la part de l’Office fédéral de migrations ODM que de la part du Tribunal administratif fédéral TAF. L’examen d’une demande d’asile en Suisse comprend toujours deux angles : la reconnaissance de la qualité de réfugié principalement et les obstacles de l’exécution du renvoi subsidiairement. Sous l’angle de l’exécution du renvoi, celle-ci peut être raisonnablement inexigible en raison de motifs médicaux, de la guerre dans le pays d’origine ou de motifs particuliers. Quant aux motifs particuliers qui concernent surtout les familles, certains ressortissants africains, comme les Nigérians ou les Guinéens pour ne citer qu’eux, sont traités de manière discriminatoire et sont privés, dans la plupart des cas, de l’admission provisoire malgré la combinaison de facteurs parlant en faveur de l’inexécution de leur renvoi au sens de l’article 83 al. 4 LEtr. Ces ressortissants sont victimes sans distinction des préjugés négatifs de dealers de drogue. Dans la pratique, nous avons pu constater que les ressortissants de ces deux pays ne sont pas traités de la même manière que d’autres ressortissants africains originaires de la RDC, d’Angola, de Somalie, d’Erythrée ou d’Ethiopie.

Les preuves

En ce qui concerne la production des moyens de preuve, l’on remarque que selon les autorités suisses, tous les moyens de preuves provenant d’Afrique s’obtiennent moyennant le versement d’une somme d’argent en raison de la corruption qui règne dans ces pays. C’est ce qui fait que, sans instruction complémentaire, ces moyens de preuve, tels que les convocations, les avis de recherche, les articles des journaux, voire des documents d’identités ne sont pas pris en compte dans l’examen du dossier. Pour être pris en compte, ces documents doivent faire l’objet de vérifications dans les pays d’origine par le canal des avocats de confiance africains commis dans des représentations diplomatiques suisses à l’étranger, dont la crédibilité est jugée incontestable par les autorités suisses. Cette vérification peut prendre des mois voire des années sans compter les irrégularités des enquêteurs dont certains ne se limitent qu’à faire des rapports sans prendre la peine de se rendre sur les lieux. Cela a des conséquences négatives tant sur la durée de la procédure que sur les décisions à prendre.

Dans notre pratique, nous avons constaté que dans plusieurs cas, les avocats de confiance de l’ambassade ne se sont pas rendus sur les lieux et ont donné de faux rapports qui ne correspondent pas aux faits. Nous avons détecté ces cas suite à nos propres investigations sur place. De plus, les autorités ne se rendent pas compte à quel point leurs enquêtes dans les pays d’origine, surtout auprès des autorités comme la police et les services de sécurité, peuvent mettre en danger les proches des requérants d’asile et même exposer la personne qui a fui et qui avait tout intérêt à rester discrète dans son pays d’accueil. Selon les autorités, ces avocats sont des professionnels et agissent toujours de manière discrète, mais malheureusement la réalité est bien différente.

Assistance juridique de qualité

D’où la nécessité, pour les requérants d’asile africains, d’être juridiquement valablement assistés. Les personnes qui viennent demander l’asile ne connaissent pas le système juridique suisse qui est très complexe même pour les juristes. Les requérants sont certes informés de leurs droits et obligations au cours de la procédure et lors du dépôt de leur demande. Ces informations générales ne suffisent pas, d’autant plus qu’il n’ont pas tous fait de hautes études pour comprendre la portée de ces informations. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés OSAR, principale organisation en Suisse engagée dans la défense des intérêts des requérants d’asile, a mis en place dans les centres d’enregistrement et dans tous les cantons des bureaux de consultation juridique gratuite pour les requérants.

Plusieurs problèmes se posent dans cette assistance gratuite, notamment :

  • Ces bureaux n’interviennent que lorsque la personne a reçu sa première décision négative de l’ODM. Très rares sont les cas où les personnes sont assistées et conseillées après le dépôt de leur demande pour la préparation des auditions en matière d’asile, ce qui est pourtant une étape décisive pour la détermination de la qualité de réfugié. On constate que plus la personne est assistée en amont, plus elle a de chances de voir reconnu son besoin de protection et donc de rester en Suisse.
  • Avec leur mandat dans toute la Suisse, le volume de travail de ces bureaux gratuits déborde parfois l’effectif du personnel. Les requérants sont reçus sur rendez-vous indistinctement de l’urgence et nombreux sont ceux qui ont vu leurs rendez-vous fixés à une date trop proche ou même postérieure à l’expiration du délai de recours ou de prise de position. Souvent, les rendez-vous sont pris par téléphone après épuisement d’une recharge prépayée suite aux écoutes des répondeurs automatiques de leurs téléphones et à l’indisponibilité des secrétaires qui ne maîtrisent parfois pas les langues des requérants.
  • Depuis le 1er janvier 2014, l’ODM a lancé à Zurich la phase test de la nouvelle procédure d’asile selon le modèle hollandais. Le point frappant de cette phase est l’octroi d’une assistance juridique gratuite d’office à tous les requérants se trouvant dans le besoin. Ce mandat a été confié à l’OSAR, à la Berner Beratungstelle für Menschen in Not et à l’OSEO, trois organisations de grande renommée en Suisse. Cependant, il faut noter que ces organisations n’engagent que des juristes blancs et/ou suisses. On remarque qu’à l’instar des bureaux de consultation juridique gratuite, ces juristes ne connaissent pas les réalités ni les cultures des Africains qu’ils doivent défendre. La communication est parfois difficile et parfois il y a des réticences dues au choc des cultures et aux barrières linguistiques. Ces organisations et même l’OSAR ne recrutent pas les juristes africains qui existent pourtant sur le marché et qui pourraient être d’une grande utilité du fait qu’ils maîtrisent mieux les milieux et les cultures africains et aussi du fait de leur expérience passée en tant que requérant d’asile. Tout se passe comme si le recrutement se faisait sur la base de préjugés et comme si l’Africain ne pouvait être que requérant d’asile. Ces organisations ne collaborent pas non plus avec les autres associations de type purement africain présentes en Suisse. Cette déconnection d’avec les réalités des milieux d’origine des requérants empêche souvent une assistance efficace et adéquate.

Parcours du combattant pour être reconnu comme réfugié

Alfred Ngoyi wa Mwanza a quitté la RDC en 2002 pour demander la protection de la Suisse suite aux persécutions dont il fut victime dans son pays. Un mois après son audition par l’Office fédéral des réfugiés ODR (actuellement ODM), il reçoit une décision de Non entrée en matière NEM. Il a alors 24 heures pour faire recours auprès de l’ancienne Commission suisse de recours en matière d’asile CRA. Sans moyens pour faire appel à un avocat privé et sans soutien des bureaux de consultation juridique gratuite, qui avaient refusé son dossier car ils avaient estimé qu’un recours n’avait que peu de chances d’aboutir, il décide de rédiger lui-même son recours auprès de la CRA en se basant sur les textes juridiques des sites de l’ODR et de la CRA. Il obtient d’abord une restitution de l’effet suspensif puis un réexamen de sa demande. En 2008, après une procédure longue et difficile, l’ODM a enfin reconnu sa qualité de réfugié et lui a donné le statut de réfugié selon la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Il a ensuite obtenu un certificat en droits de l’homme au Collège universitaire Henry-Dunant de Genève, a suivi une formation en management des projets sociaux et culturels à l’ESM de Genève et obtenu un Master of Arts in Legal Studies à l’Université de Fribourg.

BUCOFRAS

Alfred Ngoyi wa Mwanza a fondé le Bureau de Conseil pour les Africains francophones de la Suisse BUCOFRAS en 2008. L’organisation établie à Zurich intervient dans le cadre juridique et administratif qui concerne l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers en Suisse. BUCOFRAS assiste les Africains francophones de Suisse par la traduction et l’interprétation des décisions administratives, la rédaction des recours, des demandes de reconsidération et de révision des décisions en matière d’asile et des étrangers, la rédaction de certaines correspondances administratives, l’assistance juridique, à un prix bas et dépendant des moyens des personnes concernées. L’aide à l’intégration, à la réintégration, aux questions sociales et de droits humains est donnée de manière gratuite. BUCOFRAS peut compter sur le soutien de plusieurs autres organisations actives dans les domaines de l’asile et des migrations.

www.bucofras.org