TANGRAM 37

« Les petits sont imperméables au racisme »

Jean-Marie Pellaux, titulaire d’une double formation en histoire et en pédagogie, est instituteur en ville de Fribourg. Sensible aux questions touchant le vivre-ensemble, il partage son expérience avec Tangram. Entretien.

Qui sont vos élèves ?

Jean-Marie Pellaux : Mes élèves de 1ère et 2e HarmoS ont entre 4 et 6 ans. Comme j’enseigne en milieu urbain, la proportion d’écoliers d’origine étrangère est importante, entre 30 % et 60 % selon les classes. Pour moi, c’est un privilège d’accompagner des élèves qui découvrent le monde de l’école.

Comment se passe la vie en groupe dans ce petit monde ?

En principe, très bien. A cet âge, les enfants font abstraction des différences liées à l’origine. Il n’existe pas de discrimination liée à l’origine, ni généralement de volonté de se rapprocher entre élèves de mêmes pays. Tous sont désireux de se fondre dans un ensemble cohérent. La seule discrimination possible pourrait venir de l’enseignant. Les difficultés pour la cohésion du groupe se trouvent ailleurs. Je pense par exemple à des enfants qui ont des problèmes de comportement ou d’adaptation au cadre scolaire. Je mentionnerais aussi la question de la langue. Certains enfants entrent à l’école sans parler un mot de français.

Les questions liées à la langue peuvent-elles être synonyme d’exclusion ?

Non. Au contraire, les élèves considèrent la diversité des langues comme une richesse. Ils adorent chanter dans une autre langue. Certains souhaitent apprendre les langues du monde entier. A leur âge, ils ont une capacité d’adaptation importante. Il suffit de quelques mois aux élèves allophones pour communiquer en français. Comme dans les deux premières années, les principaux objectifs de l’école sont d’ordre socioaffectif, la maîtrise de la langue d’accueil n’est pas le facteur le plus déterminant, comme cela le sera dans la suite du cursus scolaire. Il faut aussi relever que le plus souvent, les écoliers issus de la migration ont tendance à vouloir mettre de côté leur idiome maternel. Ils partent du principe que l’école, c’est en français, et n’ont pas envie de se distinguer.

Le racisme est-il vraiment absent des bancs de l’école ?

Mon expérience me laisse penser que les petits sont imperméables au racisme. Ces derniers sont naturellement curieux et font preuve d’ouverture, sans préjugés. Pour eux, la norme est un concept bien plus large que pour nous les adultes. Il arrive, de manière marginale, que des enfants émettent des opinions à caractère raciste. Ils rapportent, sans en être conscients, ce que les parents leur ont dit. Un jour, une élève m’a expliqué qu’elle ne voulait pas s’amuser avec l’une de ses camarades. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu que sa maman lui avait dit qu’elle ne devait pas jouer avec cette copine parce qu’elle est noire et que les Noirs font plein de bêtises. Dans un autre cas, un garçon a fait une remarque négative sur une femme portant le voile. Son papa lui avait dit que si l’on habitait en Suisse, on n’avait pas le droit de s’habiller ainsi.

Comment réagissez-vous dans ce type de situation ?

Dans le premier cas, j’ai expliqué à la petite fille discriminée qu’il ne fallait pas prendre ces mots au sérieux. Ensuite, j’ai essayé de comprendre d’où venait l’inspiration de sa camarade : de sa maman en l’occurrence. Mais c’est très sensible. Car il est difficile d’expliquer à un enfant, loyal à sa mère, que cette dernière a eu des paroles déplacées. J’ai ensuite abordé l’incident avec les deux mamans. A la première, j’ai expliqué que l’on ne pouvait pas accepter ce genre de réflexion dans le cadre de l’école. J’ai dû rassurer la seconde qui se sentait profondément vexée.

Travaillez-vous aussi directement avec les parents pour prévenir d’éventuels problèmes ?

Oui. L’idéal est d’agir en amont pour sensibiliser les parents issus de la migration aux enjeux de l’école. La Direction de l’Instruction publique du Canton de Fribourg a produit des petits films expliquant dans plusieurs langues le fonctionnement de l’école et le rôle que l’on attend des parents. Il existe également des associations (Education familiale, Caritas Suisse/EcolePlus) qui proposent un soutien dans le domaine de l’encouragement préscolaire. Si je rencontre des problèmes avec un élève issu de la migration, je peux m’appuyer sur le Service de Contact Ecole – Parents migrants de la Ville de Fribourg. Pour être sûr de bien nous faire comprendre par des parents qui ne parlent pas le français, nous avons aussi la possibilité de recourir à des interprètes communautaires. Cela nous permet d’aborder de manière plus sereine des questions sensibles avec les parents. Un exemple : un de mes élèves avait un problème d’hygiène, à tel point qu’il s’attirait les moqueries de ses camarades. L’interprète a su, grâce à sa proximité culturelle, expliquer sereinement la situation aux parents. Le problème a pu être résolu.

En tant qu’enseignants en classes primaires et enfantines, êtes-vous armés pour gérer des classes multiculturelles et prévenir la discrimination ?

Ces aspects ont été largement abordés au cours de ma formation à Fribourg. Nous avons eu d’excellents cours sur les thèmes de la diversité et du plurilinguisme. Pendant notre cursus, nous avons été invités à construire un projet pratique lié aux questions de différences et de discrimination. Pour des conseils ciblés, nous pouvons nous référer aux enseignants plus expérimentés, aux inspecteurs ou encore aux conseillers pédagogiques. En résumé, nous sommes bien formés et soutenus à Fribourg pour accueillir les élèves allophones et faire face à d’éventuelles situations de discrimination dans une classe.

Au final, comment expliquer le racisme, alors qu’il est absent chez les petits ?

Inexistant chez les petits entre 4 et 6 ans, le racisme se construit évidemment avec le temps, par la double influence du cadre familial et de l’environnement général. Le climat politique actuel pousse beaucoup de gens à se replier sur leur propre identité. Cela ne facilite pas le travail des enseignants. Mais au final, c’est aussi la responsabilité de l’école de mettre en avant la richesse de la diversité et de forger un socle d’ouverture à l’autre. Apprendre aux enfants d’horizons différents à vivre ensemble dès leur plus jeune âge est le meilleur vaccin pour prévenir la discrimination. Si le petit Jean a pour meilleurs amis les petits Emilio et Ahmed, je suis persuadé qu’il aura, en grandissant, moins tendance qu’un autre à tomber dans le piège du racisme.

Propos recueillis par Samuel Jordan, journaliste indépendant.
samujordan@hotmail.com