TANGRAM 40

Quand les malentendus et l’ignorance alimentent les préjugés. Expériences de médiation concernant le port du voile

Auteure

Francesca Chukwunyere est directrice du Centre d’information pour étrangères et étrangers (Informationsst
elle für Ausländerinnen- und Ausländerfragen, isa).
chukwunyere@isabern.ch

Les femmes qui portent le foulard font bien souvent l’expérience de la discrimination. Dans ce domaine très émotionnel, la médiation ne porte pas toujours ses fruits, comme le montrent les exemples concrets du Centre d’information de Berne pour étrangères et étrangers.1

Deux collaboratrices d’un service de l’intégration subventionné par la Confédération et le canton refusent de travailler avec une femme voilée. Elles arguent qu’il est particulièrement important de transmettre des valeurs occidentales lorsqu’on travaille au contact des enfants migrants, ce qui est incompatible avec le port du voile. Ces chrétiennes pratiquantes portent aussi parfois des signes visibles de leur appartenance religieuse. Aucun terrain d’entente n’est trouvé lors des entretiens réunissant toutes les parties. Les deux collaboratrices démissionnent d’un commun accord, indiquant ne pas pouvoir se conformer aux exigences d’un service qui ne considère pas le port d’un vêtement à caractère religieux comme un obstacle à une bonne collaboration.

Une mère et sa fille sont convoquées par la direction de l’école, car la jeune fille ne se rend pas au cours de natation. À l’entretien, outre l’enseignante et la directrice de l’établissement, sont également présentes une assistante sociale et une personne de l’APEA (Autorité de protection de l’adulte et de l’enfant). On explique en détail à la mère que le cours de natation fait partie de la culture occidentale, y compris pour les filles. Dans l’optique d’une bonne intégration, elle est donc tenue d’y envoyer sa fille, qui peut toutefois y porter un burkini. Or il s’avère que la mère n’a rien contre le cours de natation, mais ne sait pas où trouver ce type de maillot de bain. Dès la semaine suivante, la jeune fille se présente à la piscine vêtue d’un burkini, comme suggéré par l’école. C’est alors que la direction de la piscine interdit le port de ce vêtement. Conclusion : la jeune fille ne peut plus participer au cours de natation.

Une jeune femme travaille depuis quelque temps comme ouvrière dans une entreprise horlogère. Sur ordre de la direction, elle doit ôter son foulard avant de rejoindre son poste. Elle le remet après sa journée de travail. Lors d’un débat public, la directrice de l’entreprise commence par défendre cette interdiction, mais se ravise après avoir entendu les avis des personnes concernées. Depuis, la jeune femme peut aussi porter le foulard au travail.

Ces trois exemples montrent combien les préjugés prédominent lorsqu’il est question des impératifs vestimentaires des musulmanes. Néanmoins, lorsqu’on prend le temps d’examiner la situation d’un peu plus près, il n’est pas rare que ces préjugés tombent. Cela vaut toujours la peine de chercher d’abord à nouer le dialogue avant de réagir sur-le-champ avec des mesures concrètes. Cela permet d’éviter aussi bien des dépenses, comme dans le cas du burkini, que des conflits inutiles, comme dans l’entreprise horlogère. L’exemple des deux collaboratrices du service de l’intégration montre en outre qu’aucune entreprise ne peut plus se soustraire à ces questions. Les directions d’entreprise doivent au contraire prendre clairement position et encourager un débat ouvert en leur sein. Pour cela, pas de recette préconçue ; il faut trouver des solutions innovantes qui respectent la liberté et les opinions de chacune et de chacun.

1 Certains exemples sont fournis par l’association Tasamouh.