TANGRAM 38

L’accès au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Auteurs

Professeure ordinaire à l’Université de Genève, Maya Hertig est spécialisée en droit constitutionnel suisse, européen et comparé, et dans le domaine de la protection des droits humains. Elle est membre de la Commission fédérale contre le racisme et du Comité international de la Croix-Rouge.
Maya.Hertig@unige.ch

Viera Pejchal est assistante au département de droit public de l’Université de Genève. Son principal domaine de recherche est celui des droits humains, et plus particulièrement la liberté d’expression et ses limites.
Viera.Pejchal@unige.ch

Née dans le contexte de la ségrégation, de l’apartheid et du colonialisme, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CEDR) a été la première convention onusienne permettant aux victimes d’une violation des droits humains d’adresser des plaintes (appelées « communications ») à l’organe de contrôle (le Comité).

Ce mécanisme n’est cependant ouvert qu’aux victimes relevant de la juridiction des États qui ont reconnu par une déclaration expresse cette compétence du Comité (55 États à ce jour, dont la Suisse en 2003).

Le mécanisme des communications devant le Comité est relativement peu connu en Suisse. Jusqu’à présent, le Comité a statué sur une seule communication dirigée contre ce pays (A. M. M. c. Suisse, 18 février 2014). Il n’a pas constaté de violation de la Convention, mais a recommandé de revoir la réglementation relative au régime de l’admission provisoire « afin de limiter autant que possible les restrictions à la jouissance et à l’exercice des droits fondamentaux ».

Recevabilité des demandes

L’art. 14 CEDR régit la recevabilité des communications individuelles. Les conditions formelles (délai, épuisement des voies de recours internes) sont semblables à celles qu’applique la Cour européenne de droits de l’homme. La compétence du Comité a trait à la discrimination raciale, définie à l’art. 1 CEDR comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Selon le Comité, l’incitation à la haine contre « les étrangers » (Kamal Quereshi c. Danemark, 9 mars 2005) ne constitue pas une discrimination au sens de la Convention, à la différence d’actes ou propos ciblant une origine plus précise (p. ex. « les Somaliens », voir Mohammed Hassan Gelle c. Danemark, 6 mars 2006, ou Saada Mohamada Adan c. Danemark, 13 août 2010). La CEDR ne s’applique pas non plus à la discrimination visant un groupe religieux en général (« les musulmans », voir P. S. N. c. Danemark, 8 août 2007). Par contre, le Comité entre en matière lorsque le critère de la religion se combine avec l’un des motifs énumérés à l’article premier de la Convention. Tel serait le cas si des actes ou propos incriminés étaient dirigés contre « les musulmans turcs ». Le cas d’Arthur ne soulève pas de difficultés particulières, étant donné que les stéréotypes négatifs et les préjugés véhiculés dans le matériel scolaire se fondent sur l’origine nationale et ethnique du groupe visé (à savoir les Yéniches suisses). En tant que membre de la communauté concernée, Arthur peut valablement se prétendre « victime » d’une violation des droits énoncés dans la Convention. Ces dispositions obligent les États parties à prendre des mesures contre la propagation de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe ethnique, notamment dans les domaines de l’éducation et de l’enseignement.

Associations aussi habilitées à agir

Toujours selon l’art. 14 CEDR, le Comité peut être saisi non seulement par des « personnes », à titre individuel (comme Arthur), mais aussi par des « groupes de personnes ». Cette dernière notion est comprise dans un sens large et s’étend aux ONG, même constituées sous la forme de personnes morales. Toutefois, les ONG doivent justifier d’un intérêt à agir : pour avoir la qualité de victime, elles doivent mener des activités directement liées à la lutte contre la discrimination raciale en rapport avec le groupe visé. Par exemple, la communauté juive d’Oslo s’est vu reconnaître la qualité de victime en lien avec une manifestation néo-nazie (La communauté juive d’Oslo et autres c. Norvège, 15 août 2005). Plus récemment, une association turque de Berlin, qui promeut la coexistence pacifique entre les Turcs et les Allemands, a pu prétendre au statut de victime en rapport avec des propos incitant à la discrimination de la population turque de Berlin (Union turque de Berlin-Brandebourg (TBB) c. Allemagne, 26 février 2013). Dans notre cas, Arthur souhaite mobiliser une ONG vouée à la protection des droits humains en général. Comme la mission de cette organisation, de même que le cercle de personnes qu’elle défend, ne présentent pas un lien direct et spécifique avec la discrimination raciale, une communication émanant de l’ONG risquerait d’être déclarée irrecevable. Nous conseillerions donc à Arthur de saisir le Comité soit individuellement, le cas échéant en mandatant l’ONG pour la défense de ses intérêts, soit en agissant avec une organisation spécifiquement vouée à la lutte contre la discrimination de la communauté des Yéniches.