Auteure
Me Adola Fofana est avocat et médiateur auprès du Centre Ecoute Contre le Racisme, Genève.
fofana.law@citycable.ch
Que représente concrètement l’accès à la justice en cas de discrimination raciale ? Illustration à l’aide d’un cas présenté par Maître Adola Fofana, avocat et médiateur auprès du Centre Écoute contre le racisme (C-ECR) à Genève.
fofana.law@citycable.ch
La personne qui sollicite les services du C-ECR, de nationalité suisse et d’origine haïtienne, travaille depuis cinq ans comme animatrice dans un EMS genevois. À la fin de son congé maternité, elle a repris son travail début 2015.
Pendant son absence, la direction de l’EMS a accueilli un homme dans le cadre d’un programme d’insertion professionnelle de l’hospice général. Ce nouvel arrivant a pour tâche principale de faire la lecture de la presse aux résidents de l’EMS. Nous l’appellerons donc « le lecteur ».
Le 25 septembre 2015, en parcourant le quotidien 20 minutes, le lecteur dit à la personne, faisant référence à un article sur un gorille : « Ah, c’est comme toi, M. ! » (initiale du prénom de la femme haïtienne), puis fait des bruitages en imitant un singe. Sur le moment, la personne ne répond pas à ces provocations. Par la suite, elle apprend que le lecteur a fait des allusions répétées la concernant à différentes personnes, portant sur sa couleur de peau ou son origine.
Parallèlement, et dans le cadre des relations de travail, le lecteur ne supporte pas que la personne lui donne des indications ou des instructions, bien qu’elle y soit expressément et hiérarchiquement autorisée.
À plusieurs reprises, la personne essaie de demander au chef infirmier, responsable du lecteur au sein de l’établissement, d’organiser une rencontre afin de clarifier la situation. Cette réunion est programmée, puis reportée à quatre reprises. Au moment du premier entretien de la personne avec le C-ECR, elle n’a pas encore eu lieu.
En conséquence, la personne décide d’aller trouver la déléguée du personnel et lui explique la situation. Cette dernière convoque immédiatement le chef infirmier, sans lui en préciser les raisons. Une autre rencontre est fixée et reportée encore une fois, pour finalement avoir lieu le 13 novembre 2015. Sont présents le directeur, le chef infirmier, la personne concernée et le lecteur. La déléguée du personnel est absente car suite au report de la rencontre, celle-ci a « curieusement » lieu durant son jour de congé.
Lors de cette réunion, la personne explique la situation. Le lecteur ne nie pas les faits. Le chef infirmier le remet à l’ordre et ajoute qu’il ne sait pas s’il va le garder. Le directeur indique pour sa part qu’il n’admet pas un tel comportement, mais dévie ensuite la conversation sur le « bon » travail du lecteur. Il est également question de la tenue vestimentaire de ce dernier, qui est toujours vêtu de rouge et arbore ostensiblement une grosse croix chrétienne. Le directeur lui demande de ne plus la porter au sein de l’établissement. Pour régler la question des propos racistes, il est décidé de faire évaluer le lecteur par sa responsable de placement.
Cependant aucune excuse n’a ni été demandée ni formulée sur les propos litigieux tenus à l’encontre de la personne.
Cette dernière, nullement satisfaite du résultat, demande au C-ECR ce qu’elle peut faire et quelles démarches entreprendre.
En général, les motifs invoqués pour engager une procédure sont la négation du droit au respect ou l’atteinte à l’honneur, auxquels vient souvent s’ajouter un sentiment d’injustice et de révolte. Dans le cas évoqué, ces deux composantes sont présentes.
Il est tout à fait possible de faire appel à des conseillers privés, mais ceux-ci appliquent leurs propres tarifs. Dans cette hypothèse, les frais engendrés par une procédure peuvent être assez importants. Il faut compter un premier entretien, puis la préparation du dossier (demande de documents et échanges entre le conseiller et son client), au moins une seconde rencontre. Puis, si la plainte est jugée recevable, une audience devant le Ministère public est organisée. Pour ces démarches, le client devra verser à son avocat une provision de plusieurs milliers de francs.
Les prestations du C-ECR sont quant à elles gratuites. Deux possibilités s’offrent à la personne : soit elle décide de rédiger elle-même sa plainte avec l’appui du Centre, soit celui-ci se charge de toutes les démarches. Dans les deux cas de figure, la personne ne supporte aucun frais hormis ceux de l’envoi de sa plainte sous pli recommandé.
Le C-ECR n’a pas de mandat de représentation, il ne peut pas se constituer avocat et valablement représenter ses clients.
Les personnes ont parfois une idée déformée de la justice, inspirée des séries télévisées, et ont beaucoup de mal à comprendre qu’une procédure ne se déroule pas comme à la télé.
De l’expérience du C-ECR, le principal obstacle pour les personnes qui le sollicitent et les praticiens en général est la difficulté d’apporter les preuves des faits dénoncés, surtout en cas d’actes verbaux. En effet, le fardeau de la preuve incombant au plaignant, c’est à lui qu’il appartient de démontrer la violation du droit ou l’atteinte à la personnalité. Il est possible d’invoquer la norme pénale antiraciste, mais généralement à titre subsidiaire. Dans ce cas précis, l’établissement des faits a été facilité par les aveux concordants du lecteur.
À titre de comparaison, l’action pénale est beaucoup plus simple lors d’infractions de type voies de faits ou lésions corporelles.
La durée de la procédure peut constituer un autre obstacle. En principe, il s’écoule environ une année entre le dépôt de la plainte et son instruction, puis la conciliation ou le jugement. En cas d’insatisfaction d’une partie, il est possible de faire recours, auquel cas la durée totale de la procédure peut varier considérablement. Dans notre exemple, la résolution du cas a pris environ une année. La procédure a pris fin au niveau de la conciliation.
Les personnes victimes de discrimination sont vulnérables. Dans l’idéal, elles devraient pouvoir bénéficier d’un renversement du fardeau de la preuve (comme dans la LEg). Concrètement, il suffirait alors que la violation du droit soit considérée comme vraisemblable pour qu’elle soit admise.
En l’espèce, bien que l’offenseur ait reconnu les faits, la victime est ressortie amère de cette séance de conciliation. Les regrets qui lui ont été présentés ne lui ont pas suffi.
Note de l’auteur :
Cet article se fonde sur une approche tirée de la pratique et répond à des impératifs de concision. Il contient donc un certain nombre de raccourcis et de simplifications.